Mémoire n La commémoration des événements du 8 Mai 1945 à travers plusieurs régions du pays, a été une occasion pour les survivants des carnages d'évoquer la brutalité de l'armée coloniale française. «Soixante-cinq ans après, l'odeur des corps calcinés et éparpillés sur le sol est toujours présente dans mes narines», a affirmé, hier, le moudjahid Rachid Riache, évoquant les massacres qu'il a vécus, enfant, dans la région de Béni Aziz (nord de la wilaya de Sétif). Il raconte avoir vu des familles entières brûlées vives, des Algériens qui creusaient leurs propres tombes sous la menace d'armes pour y être ensevelis, parfois vivants, des hommes égorgés et étêtés, des femmes enceintes mutilées et éventrées juste pour savoir le sexe de leurs fœtus sur lesquels les bourreaux sanguinaires avaient auparavant misé de l'argent dans une sorte de pari macabre, des nourrissons monstrueusement étranglés ou étouffés en présence de leurs mères en état d'hystérie et de profonde douleur avant de subir, à leur tour, le même sort et des vieillards impitoyablement massacrés. Ce véritable génocide a coûté la vie à pas moins de 765 Algériens de la région, dont 7 membres de la famille du petit Rachid, qui s'était retrouvé, subitement, sans famille et sans abri, la maison familiale étant incendiée. «C'est ainsi que je me suis retrouvé errant parmi les corps ensanglantés et déchiquetés, respirant l'air étouffant et nauséabond du sang et des lambeaux humains qui commençaient à se décomposer au soleil de ce mois de mai, qui, ironie du sort, fut radieux et contrastait curieusement avec l'horreur ambiante sur le sol», se souvient ce moudjahid de la première heure. Un autre survivant de la boucherie coloniale, Layachi Guetrani, (71 ans), qui avait tout juste 6 ans, a affirmé se rappeler toujours des images de personnes qui couraient dans tous les sens. En revanche, ce qu'il n'oubliera pas, ce qui reste gravé à jamais dans ses souvenirs, il le raconte la voix tremblante : «En courant pour rentrer chez moi, je heurtai une masse sur le sol, c'était un jeune homme mort, baignant dans une mare de sang qui avait totalement gorgé son burnous. Je vois encore le rictus que formaient ses dents et il m'arrive encore aujourd'hui de le revoir en rêve.» Les participants à une rencontre sur les massacres du 8 Mai 1945, organisée, hier, à Berrouaghia (Médéa), ont affirmé que la répression de l'armée coloniale était «préméditée». Le moudjahid, Sid-Ali Abdelhamid, ancien membre du comité central du PPA, a indiqué que rien ne peut justifier l'usage à grande échelle de la force, d'autant, que la marche pacifique avait un but «revendicatif», ce n'était pas un soulèvement populaire comme le présentaient à l'époque les autorités coloniales. Le caractère prémédité de ces actes a été également souligné par l'ancien compagnon de Larbi Ben M'hidi, le moudjahid Brahim Chergui, ancien membre du PPA et chef de la zone de Constantine durant la Révolution. Il a cité, à ce propos, l'assassinat du responsable du PPA à Sétif par le général Duval, en présence de hauts représentants de l'administration coloniale. Ces événements tragiques ont servi de «déclic» et poussé les dirigeants du mouvement national à opter pour une autre forme de combat. Neuf ans plus tard, la guerre de Libération nationale était déclenchée… R. N.