Renchérissant sur les paroles de Si Ahmed Maroc, le Moudjahed Si Benaïcha Sidhoum, qui était employé à la compagnie E.G.A. (Electricité et Gaz d'Algérie), nous affirma pour sa part : «De mon côté, une fois que j'aurai entendu le bruit causé par l'explosion de la grenade de Si Cherif, je m'empresserai de saboter la centrale électrique alimentant la ville pour provoquer une panne de courant; de la sorte, lorsque vous opérerez votre repli, vous ne pourrez pas être repérés par les patrouilles militaires françaises, à la faveur de l'obscurité totale qui régnera dans la ville sitôt le courant électrique coupé.» Ces généreuses promesses de soutien et de diversion de la part de ces deux camarades de combat achevèrent de nous remonter le moral et de stimuler notre ardeur combative. Sid Ali était armé d'un pistolet 11/43 ainsi que d'un revolver à barillet 12 long. Pour leur part, Allouane et Fettaka avaient la bouteille de cocktail-Molotov, préparée à l'avance avec un soin minutieux. L'un d'eux devait ouvrir la porte du magasin de Fitoussi, ce qui permettrait à l'autre de lancer sa bombe incendiaire après en avoir allumé le chiffon imbibé d'essence lui tenant lieu de mèche. Pour ce qui me concerne, j'étais muni de la grenade que m'avait remise Si Naïf et d'un pistolet 8 long. Si Mejdoub, un Moudjahed agent de liaison, avait été chargé de nous guider le soir même. Les attentats étaient programmés pour le lendemain soir à 18 heures précises. Nous avions marché toute la nuit pour arriver à la ferme du colon Vegler, grand propriétaire terrien et maire de Marengo. Nous nous sommes ensuite cachés dans la maison d'un militant algérien, que Vegler employait comme gardien pour un salaire de misère. Pris dans l'étau de l'expectative, nous avions passé toute la journée à discuter de tout et de rien, rongés par l'angoisse et l'appréhension, les nerfs en pelote, épiant tous les bruits venant de l'extérieur, taraudés par la crainte d'échouer dans notre première «vraie» mission. Ali Fettaka a même été pris d'une sale et pernicieuse fièvre. Nous brûlions d'impatience de voir arriver l'heure de l'opération. Notre hôte, le brave gardien de la ferme, tout fier de nous et heureux de contribuer à notre action, nous avait pourtant servi au dîner un chaud et savoureux couscous au poulet, qu'il avait égorgé en notre honneur à l'instant même de notre arrivée. Certes, le plat était excellent, délicieux, son bon fumet titillait nos narines, mais nous n'avions hélas pas le cœur aux plaisirs du palais, et les bouchées ne passaient pas dans notre gorge. Seul Sid Ali, dont le caractère insoucieux était légendaire, avait pu se régaler à l'envi. Et tout en faisant honneur à la bonne chère, ce dernier nous incitait à prendre exemple sur lui : «Allons donc, qu'est-ce que vous avez à faire cette tête, mes frères, mangez donc, et soyez sans souci, nous allons réussir, In cha' Allah», nous disait-il entre deux solides cuillerées de couscous fumant qu'il enfournait dans sa bouche... Nous envions sa bonne humeur, sa gaieté, sa joie de vivre, son caractère simple et sans manières, sa façon de ne voir que le bon côté des choses de l'existence. Mais de là à pouvoir l'imiter, il y avait tout un monde. (à suivre...)