Si Zoubir se trouvait au milieu du groupe posté sur le flanc gauche de la route, alors que Si Moussa était à la tête du deuxième groupe dont je faisais moi-même partie et qui était embusqué sur le côté droit. Placé un peu en retrait sur le talus, Si Zoubir suivait avec sa paire de jumelles tous les mouvements du convoi, qui, au passage, avait marqué une halte dans un petit douar du coin. De la place où il se tenait en vigie, Si Zoubir qui pouvait tout voir, nous commentait les agissements des soldats ennemis. Il nous disait : «Ces salauds sont en train de maltraiter les civils, ils brûlent leur bétail et tirent partout avec leurs armes pour traumatiser le peuple.» Depuis notre emplacement, nous ne pouvions rien voir sinon de la fumée. Et Si Zoubir, rageur, continuait donc de rapporter et de commenter pour nous le sordide spectacle qu'il avait sous les yeux, et nous prêtions une oreille très attentive à toutes ses paroles. Il finit enfin, par nous lancer : «Soyez prêts, les voilà qui redémarrent !» Chance inespérée pour nous, le Pipercub, l'avion mouchard qui, le matin, tournoyait dans le ciel, n'accompagnait plus le convoi sur le chemin du retour. C'était à Si Zoubir et son groupe qu'il incombait de tirer en premier, après avoir laissé au convoi ennemi le temps d'être bien pris dans le périmètre de notre embuscade. Quant à moi, je me trouvais en première position, à quelque 5 ou 6 mètres de l'endroit où la route accusait un tournant. Nous n'attendions plus que l'ordre de Si Zoubir pour passer à l'attaque. Il était environ deux heures de l'après-midi. Dans peu de temps, nous allions nous battre contre l'ennemi qui torture les innocents et malheureux civils algériens que les soldats français venaient de maltraiter presque sous nos yeux. Nous frémissions de joie et d'excitation à l'idée de combattre au nom d'Allah pour recouvrer l'indépendance de notre pays, pour l'instauration de la justice, désirant avoir la chance et l'honneur d'être tués comme des chouhada (témoins élus par Dieu à la Béatitude suprême), ce qui doit toujours être le souhait ardent de tout moudjahid. Nous étions bien camouflés dans les petits taillis et les fourrés bordant la route. Discutant à bâtons rompus, nous nous faisions mutuellement nos adieux. Pour garder souvenir l'un de l'autre, pour le cas hautement probable où l'un de nous serait tué, nous avions commencé à échanger nos armes avec beaucoup d'émotion. Ainsi, si l'un des deux tombait en martyr, le combattant survivant avec lequel il aurait troqué son arme pourra dire, non sans fierté : «Il est mort avec mon arme à la main !» J'avais un fusil de chasse, dont les cartouches étaient chargées à chevrotines ; c'était là une arme redoutable, meurtrière et très efficace dans une embuscade. Chaque coup tiré déchargeait une terrible poussée de projectiles brûlants et ravageurs qui ne laissaient pratiquement aucune chance à l'adversaire d'en réchapper.Nous l'appelions couramment fusil teuf ou centra.Si Zoubir n'arrêtait pas de nous dire : «Faites très attention, camouflez-vous bien, ne bougez pas, ils arrivent, ils sont à environ six cents mètres.» S'adressant ensuite à Si Moussa : «Si Moussa, à toi la jeep - O. K.», fit Si Moussa qui, changeant tout à coup de place, s'en alla se poster un peu plus en avant. (à suivre...)