Le commandant français n'arrêtait pas de donner ses ordres aux soldats : «Avancez, avancez ! tirez !» Pour tenter de freiner l'élan de la troupe et bloquer sa dangereuse avancée, le moudjahid Si Mahmoud Enemri, de Hammam-Melouane, les arrosa de quelques rafales de sa mitraillette américaine Thomson. En opérant notre repli, nous devions tâcher d'occuper la crête élevée d'une montagne, mais pour y parvenir nous devions traverser un terrain découvert de quelques dizaines de mètres. Face à nous, l'ennemi avait placé un fusil-mitrailleur afin de nous empêcher d'accéder à ce point stratégique que lui-même projetait d'occuper. Pour nous couvrir, Si Moussa avait pris position derrière un rocher et il tirait en direction du fusil-mitrailleur pour le neutraliser : «Vite, vite, nous criait-il, la crête !» Nous devions agir l'un après l'autre, avec pour unique couverture les tirs de la carabine U.S. de Si Moussa. A notre droite se trouvaient les paras que nous voyions se presser pour prendre la crête mais le moudjahid Si Tahar avait déjà atteint le sommet de ladite crête, où, après avoir pris position, il s'était mis à tirer sur les hommes en tenue léopard avec son fusil Garant pour stopper leur escalade. Si Tahar les canardait aux cris d'Allahou Akbar, tout en nous encourageant à continuer d'avancer pour le rejoindre : «Avancez, mes frères, nous criait-il. Avancez !» Ce fut ainsi que nous avons tous pu passer sans perdre un seul homme, prenant de vitesse les soldats ennemis et dont nous imaginions la rage, la déconfiture et l'humiliation d'avoir lamentablement échoué à nous couper la seule voie de repli qui s'offrait à nous... Sur cette crête se trouvaient trois pitons rocheux, s'élevant à quelque dix mètres l'un de l'autre. Comme nous étions répartis en trois groupes de onze combattants chacun, Si Moussa avait placé un groupe sur chaque piton. Nous avons ainsi pris nos places avec beaucoup de calme, prêts à affronter l'ennemi et à en découdre avec lui. Notre position dominait tout le terrain et nous pouvions surveiller tous les mouvements de la soldatesque française. Il y avait là le 29e Bataillon de tirailleurs dont la base se trouvait à Fontaine-du-Génie (actuellement Hadjrat Ennous) : à gauche les soldats martiniquais et sénégalais, à droite les parachutistes. À partir de notre nid d'aigle, nous observions avec beaucoup de sérénité et sans la moindre peur l'agitation qui régnait dans les rangs de l'ennemi et qui s'apprêtait à nous attaquer. Il n'était guère que huit heures du matin, une heure trop précoce pour nous, ce qui ne pouvait être à notre avantage dans le feu de l'action. Nous aurions souhaité être dans l'après-midi pour pouvoir ensuite nous replier à l'approche de la nuit. Cependant, en dépit de ce lourd handicap nous étions joyeux car Dieu nous avait offert l'occasion de cette journée doublement bénie à nos yeux pour combattre et mourir en martyrs un vendredi, jour sacré de la semaine et qui en plus coïncidait cette fois avec le vingt-septième jour du mois de sidna ramadân, mois de la première révélation du Saint Coran... ! Nous avons tout de suite entonné Min Djibalina, puis nous sommes passés aux adieux mutuels, nous pardonnant nos offenses et nous souhaitant mutuellement le martyre : nous nous donnions rendez-vous au Paradis. (à suivre...)