Le convoi avançait, et nous entendions de mieux en mieux le ronflement des moteurs de camions. Si Zoubir, qui scrutait toujours le paysage à la jumelle, nous dit : «Ils ne sont plus qu'à trois cents mètres.» Subitement, Si Zoubir enjoint à Si Moussa de laisser passer la jeep, dont le conducteur avait pris de la vitesse, semant loin derrière lui le reste du convoi. Si Zoubir nous dit : «Ne vous en faites pas mes chers compagnons, le groupe de Si Ahmed, avec sa mitrailleuse 30, s'occupera de la jeep.» De toute évidence, les officiers français qui se trouvaient à bord de la jeep semblaient avoir flairé quelque chose d'anormal dans l'air. Par mesure de prudence, ils avaient donc décidé de prendre les devants en allant inspecter les lieux de plus près, surtout ce virage dangereux, où ils risquaient de tomber dans une embuscade. Les yeux toujours rivés sur ses jumelles, Si Zoubir nous répéta : «Laissez passer la jeep, quand le convoi sera à notre portée, ne tirez qu'à mon signal.» J'ignore ce qui a bien pu se produire exactement, mais au moment même où la jeep déboucha dans le virage, arrivé face à l'endroit où je me tenais, le chauffeur écrasa brusquement la pédale de freins, immobilisant le véhicule sur place, dans un effroyable hurlement de pneus. Au même instant, le commandant du convoi s'était mis à vociférer : «Tirez, tirez, ce sont les fellagas, tirez donc», tout en tirant lui-même sur le groupe de moudjahidine qui se trouvait sur le côté gauche de la chaussée. Comme, pour ma part, je me trouvais à six mètres de là, sur le côté droit, j'ai tout de suite ouvert le feu sur les occupants de la jeep, tirant l'une après l'autre les deux cartouches. Ensuite, comme j'entreprenais de recharger mon arme, je sentis une main qui me secouait l'épaule droite. C'était mon compagnon Si Ahmed «Hammam-Melouane», qui me pressait en me disant : «Viens vite, Si Cherif, viens vite !» En me retournant, je constatais avec stupeur que j'étais demeuré seul sur place, alors que tous les autres moudjahidine s'étaient déjà repliés. Fort heureusement pour moi, Si Ahmed «Hammam-Melouane», ayant remarqué que je demeurais à ma place, alors que l'ordre de repli avait été lancé par Si Moussa, s'était rendu compte que je ne l'avais pas entendu et, de ce fait, s'était empressé, au péril de sa vie, à venir m'en avertir en catastrophe. Il m'avait sauvé la vie, car le convoi s'était arrêté, et les soldats français avaient tous sauté sur l'asphalte pour tenter de nous tomber dessus à revers. Nous nous trouvions dans la boucle d'un virage, les camions militaires occupaient sur la route une position en retrait par rapport à la nôtre ; les occupants de la jeep, qui ne pouvaient bien nous distinguer, tiraient sur nous à l'aveuglette. Tout occupé que j'étais à recharger mon fusil de chasse dont les deux fortes détonations m'avaient complètement assourdi, je n'avais pas entendu le signal de Si Moussa ordonnant le repli. Je l'avais échappé belle, grâce à Dieu et à mon compagnon Si Ahmed «Hammam-Melouane». M'élançant en toute hâte sur les pas de Si Ahmed, nous eûmes tôt fait de rejoindre tous les deux nos autres frères combattants, qui s'étaient mis à escalader la rude côte. (à suivre...)