Empreinte n Les forgerons d'Ihitoussène ont, sans aucun doute, marqué une ère des plus illustres de l'histoire de l'Algérie. Leur ancêtre Ahitos serait, d'après la tradition orale et selon la thèse la plus plausible parmi les trois en vogue, un forgeron grec ayant accosté au XVIe siècle en Kabylie maritime avant de rejoindre l'Arch Ath-Idjeur, actuellement Bouzeguène où il a été accueilli à bras ouverts par le saint Sidi-Moussa. Une fois installé, celui-ci offrira ses bons et loyaux services à la société paysanne de la région qu'il pourvoyait en matériel aratoire, et pour laquelle il réparait et fabriquait tous les outils nécessaires à l'agriculture ainsi qu'au confort de ses habitants comme les lampes à huile, les serrures et tous les objets en fer. Ce dernier a tôt fait de transmettre son exceptionnel savoir-faire à sa progéniture qui a su perpétuer la tradition. Les Ihitoussène fabriquaient eux-mêmes leurs enclumes dans la forge- mère du village, dont les sept premières sont exposées actuellement au sein de cette même forge. Les gens rencontrés dans ce village nous ont fait savoir que les Ath-Idjeur juraient à l'époque au nom des sept précieuses enclumes «Ahaq Sevaâ Zvari Ihitoussène.» Plus tard, les Ihitoussène fabriqueront des enclumes à tous leurs enfants qui, pour des raisons économiques, à en croire la mémoire collective, ont décidé de porter leur métier en dehors de la localité et ainsi d'investir la quasi-totalité du territoire national où l'on a compté plus de trois cents forges implantées dans 17 wilayas du centre et de l'est du pays. Les témoignages recueillis expliquent qu'à l'époque, ces forgerons se faisaient rétribuer en nature, une fois l'an lors des récoltes, par des mesures d'orge, de figues sèches et autres produits de l'agriculture selon un barème qui satisfaisait les fellahs. Cela se déroulait dans une ambiance festive dans les villages où s'accomplissaient des rituels anciens. La «baraka» des forgerons leur valait bien des attributs. Témoignant de la même attitude d'apaisement et de conciliation, les forgerons sont appelés au règlement des conflits tribaux. Par ailleurs, lors de l'invasion des Ath-Idjeur par l'armée coloniale en 1852 et durant les insurrections armées de 1857 et 1871 (Icheridhen, El-Mokrani, Cheikh Aheddad, Fadhma n'Soumeur), le génie des forgerons d'Ihitoussène s'est manifesté dans la fabrication des armes anciennes et de la poudre à canon ayant servi la juste cause des villageois. Plusieurs ouvrages feront référence à la fabrication des armes par les forgerons d'Ihitoussène. Boukhalfa Bitam, dans son ouvrage Les justes, raconte comment les armes de l'insurrection armée, fabriquées à Ihitoussène étaient acheminées à dos de mulet vers les ateliers de haute précision des Ath-Yenni pour y subir les finitions. Des archives inédites de la période turque y faisaient également référence dans un chapitre traitant de l'artisanat en Kabylie. Il y est fait mention, selon un historien, de la sociologie des forgerons d'Ihitoussène, de l'art de la fabrication des armes et de leur mode de migration.