A la lisière de la forêt vierge brésilienne, un opérateur-radio couvert de sueur envoie un message d?alerte à l?aérodrome de Rio de Janeiro : «Stratocruiser Président ne répond plus.» Dans l?après-midi du 29 avril 1950, la radio brésilienne annonce que le Boeing géant Stratocruiser à deux ponts a un retard inexplicable. Le Président, affecté à la ligne Buenos Aires - New York, a quitté Rio de Janeiro la veille à vingt-trois heures cinquante, emportant quarante et un passagers et neuf membres d?équipage. Le «Nouveau Monde» considère cette ligne comme la plus importante, la plus chère et la plus élégante du globe. La plupart des passagers sont des milliardaires. Au dernier contact radio, tout était normal à bord. Il volait à 5 400 mètres d?altitude. Il allait s?engager au-dessus de la forêt vierge? Depuis, plus aucune nouvelle. Dès le lendemain de la disparition, la sonnerie du téléphone retentit au quatorzième étage d?un immeuble de Rio de Janeiro. Le jeune commandant de l?aviation militaire brésilienne, José Carlos de Susa Moreno, qui lisait tranquillement son journal sur sa terrasse, décroche l?appareil. «Ne quittez pas? le général veut vous parler.» Le général ne se perd pas en vains commentaires : «Vous partez pour Belem. Si le Président est retrouvé, vous devez organiser les secours.» José Carlos est un homme solide et courageux, mais cette nouvelle ne l?enchante pas. Sa jeune femme, Elisa, attend un bébé? C?est elle-même qui le conduit à l?aérodrome de Rio. La dernière image qu?emporte le jeune commandant est celle d?une petite femme blonde qui se dresse sur ses chaussures plates pour lui faire un grand geste du bras. Ce qui ne devrait être qu?une opération de sauvetage sans histoire va se transformer, par l?intervention de quelques journalistes et la démagogie criminelle d?un politicien, en une aventure. Depuis la veille, quarante appareils se relaient pour survoler la forêt vierge. Les équipages, les yeux rougis, cherchent à découvrir un point dont les contours trancheraient nettement sur le paysage rigoureusement monotone, verdâtre, fait de boursouflures serrées, semblable à un énorme chou-fleur. Il faut faire vite. Les rescapés d?un pareil accident dans la forêt, exposés à mille dangers, ne peuvent se sauver eux-mêmes. D?autant que la chute du Président semble se situer dans une région immense et des plus mal connues, où les arbres mesurent de trente à cinquante mètres de haut et ruissellent d?une chevelure de lianes inextricables sous laquelle le soleil ne pénètre jamais. S?il reste quelques milliardaires survivants, dans quel état va-t-on les découvrir ? Le lendemain matin, au troisième jour des recherches, le pilote d?un avion cargo aperçoit une tache brune dans l?infini de ce chou-fleur. Il descend aussi près que possible de la cime des arbres gigantesques avec son lourd et lent appareil. Difficilement identifiables dans les branches et les lianes, il croit cependant reconnaître la cabine de pilotage et un morceau d?aile du Président. Sur l?aérodrome de Belem, c?est le branle-bas général. A la tour de contrôle, le directeur de la compagnie et José Carlos interrogent le pilote. «Le poste de pilotage et l?aile sont-ils très éloignés ? demande José Carlos. ? Non. ? Voyez-vous d?autres débris ? ? Oui? je crois que j?aperçois un morceau de l?empennage arrière. Mais c?est assez loin. Attendez, il doit y avoir quelque chose accroché dans un arbre. Je n?arrive pas à voir ce que c?est? Sûrement d?autres débris de l?avion. ? Rien ne bouge ? ? Rien. ?Les débris couvrent quelle surface ? ? Ils sont éparpillés sur une colline, dans un rayon de huit cents mètres environ.» (à suivre...)