Lassitude De nouveau, le silence tombe sur les vieilles personnes fatiguées qui se contentent, pendant des heures, de regarder autour d?elles. Ce grand arbre me rappelle un chêne qui ombrageait notre jardin quand j?étais jeune, il y a bien longtemps? Zohra soupire en agitant légèrement le bras. Un long silence suit ses paroles et la vieille femme, gardant les yeux baissés sur son chapelet qu?elle égrène d?un geste lent, poursuit : ? Oui, c?était un beau chêne, avec un tronc large comme ça ! Elle écarte les bras et les autres pensionnaires de l?hospice assises près d?elle poussent des cris d?admiration. ? Tant que ça ! réplique Bariza, une petite personne très vive malgré ses quatre-vingt-deux ans. Elle regarde les autres à tour de rôle, comme pour leur faire partager son incrédulité. ? Je le jure ! C?était le plus gros chêne de la région et le plus haut, aussi? Je me demande s?il existe toujours ! Le ton est si mélancolique que ses voisines se taisent. Deux vieillards sont installés sur un banc près de la pelouse où sont assises, en plein soleil matinal d?avril, encore frais, les trois amies inséparables : Zohra, Bariza et Taous. ? Moi aussi, dit avec son éternel sourire le vieux Mosbah, j?ai vu un chêne de ce genre, autrefois? Il y en a qui dépassent les vingt mètres ! La vieille Zohra se tait, agacée par l?intervention de Mosbah, qui lui semble toujours prêt à entrer dans la conversation des femmes alors que personne ne lui demande son avis. De nouveau, le silence se fait entre ces vieilles personnes fatiguées qui se contentent, pendant des heures, de regarder autour d?elles d?un air curieux, suivant des yeux leurs camarades qui passent lentement dans la petite allée goudronnée, un oiseau qui sautille sur l?herbe ou le mouvement des branches balancées par le vent printanier. Soudain, Aïssa, qu?on appelle «Le muet» car il reste parfois des journées entières sans prononcer un mot, dit de sa voix rauque : ? Dans mon jeune âge, je devais avoir vingt ans à l?époque, je restais de longues heures caché derrière le tronc d?un grand chêne? à attendre? ? A attendre quoi ? demande Mosbah. Les vieilles tournent la tête et le regardent, curieuses. ? A attendre quoi ? ? Quoi ? J?ai dit à attendre ? ? Oui, tu as dit «à attendre»? quoi ? Aïssa baisse les yeux sur son pantalon défraîchi et fronce les sourcils sans répondre. Puis il se lève et s?éloigne. (à suivre...)