C'était au temps des bonheurs et des langueurs d'enfance. Au temps des longues colonies de vacances au bord de la mer, à Belle-île, la bien nommée. Les enfants y venaient de Paris et de banlieue, d'immenses cités dortoir cosmopolites. Le sac usé ou la valise trop grande, et au fond, la liste du trousseau. Le maillot de bain neuf acheté pour l'occasion, le doudou râpé à portée de main. Le bandana autour du cou, le porte-clé cliquetant sur la hanche, ou le scoubidou en porte-bonheur… du style, pour un air de liberté. La brosse à dents intacte, le dentifrice trop piquant, et le shampooing parfois dégoulinant dans la trousse, au risque de tacher les belles enveloppes prêtes à être postées, en attente d'une carte postale ou d'un courrier. Ils avaient l'œil humide et curieux, assoiffé de paysages, tour à tour tristes et enjoués, déjà en quête de leur amour d'été. Assoupis dans le roulis du train, puis parachutés dans l'air vif et marin, embarqués sur «L'Acadie»,fameux bateau, pour des rivages lointains et mystérieux, qui font grandir d'un coup. J'étais mono, fraîchement sortie de l'enfance, encore un pied dedans, la besace pleine de trésors et de jeux. J'eus la chance cet été-là d'hériter de six petites fées de 5 et 6 ans : Une blonde aux boucles dorées et minois d'ange. Une brune, vive et parfumée, fluette et l'œil coquin. Une rousse au teint d'écureuil, au goût de miel et feuille d'automne. Une ronde, naïve et potelée, rieuse et joufflue, comme un abricot. Une douce, brin de paille, discrète et ordonnée, qui ne se salissait jamais. Et pour finir, une fée en chocolat que l'on avait envie de croquer, si ce n'est sa coiffure d'aztèque sophistiquée ! La vie était riche et joyeuse, faite de rires et de chansons, de jeux, de découvertes, de sable chaud, de pâtés et d'éclaboussures, d'écume, de coquillages et de vagues douces. Un jour, à la lisière du bois et de la citadelle, une fête mi-foire mi-kermesse, nous conduisit, mes six fées et moi-même, à nous mêler à la foule des curieux et des amuseurs. Nous observions un gros monsieur moustachu tourner une immense roue moyenâgeuse qui grinçait ; il haranguait les visiteurs pour distribuer de petits cartons moyennant un ou deux sous. Un vieil homme, charmé sans doute par notre jeunesse, ému de nos yeux écarquillés, nous distribua à chacune une chance à saisir au vol : sept cartons porte-bonheur. La roue tourna une fois, deux fois, et encore… plusieurs fois, pour stopper sur un numéro. «Numéro 10 ! Clama le saltimbanque de sa voix de ténor. Qui a le numéro 10 ?! — Moi ! Osa timidement ma petite fée aux boucles d'or. — Bravo ! reprit l'homme, tu as gagné ma belle ! Regardez, cette petite fille a gagné un lapin vivant !!» Il attrapa par les oreilles, une énorme bête bigarrée, la flanqua dans un carton, et nous tendit notre lot avec les félicitations du jury. Mes six fées étaient transportées de joie ! Agglutinées autour du carton, elles rentrèrent à la colo, en se marchant sur les pieds, pendant que six petites mains caressaient Jeannot tapi au fond de son carton, baptisé sur le chemin de ce nom, ma foi commun, mais qui lui allait très bien ! A notre arrivée, le terrible directeur n'était pas là, ouf ! Pas méchant le bougre, mais impressionnant, lorsqu'il poussait sa voix... (A suivre...)