Souffrance Ses yeux éteints, ses jambes paralysées l?isolent du monde extérieur. Je veux aller chez mes s?urs, en ville... et chez mon frère Ali, ils s?occuperont de moi... ? Oh, tu penses ! Ils s?occuperont de toi ! Dis-toi bien que sans moi, tu serais depuis longtemps la proie des chiens ! L?aveugle penche la tête de côté, ses yeux éteints fixant le néant. Elle se tait un moment comme si elle réfléchissait à une question qui ne lui avait jamais effleuré l?esprit auparavant. ? Quoi ? Tu as donc oublié qu?il y a un Dieu pour tout le monde ? Tu ne le crains donc pas ? Après tout ce que tu m?as fait, les gens du douar sont témoins? Quand je t?ai épousé, tu n?étais qu?un soûlard, buvant du matin au soir... ? Oh ! Tu n?as même pas été capable de me donner un enfant, comme les autres femmes. ? Et maintenant, tu en as, des enfants, avec ta nouvelle femme ? Hein ? Dieu ! Le défaut vient de toi, pas de moi... J?ai perdu ma jeunesse et toute ma vie à te servir, et maintenant que je suis clouée dans un coin, tu me traites comme une mendiante. Heureusement que ta femme n?est pas comme toi ! ? Tais-toi, ou sinon? Habituée aux coups de son mari, elle continue sur un ton véhément : ? Et puis, j?en ai assez de rester dans cette pièce, comme un arbre mort ! ?Mais tu es morte, ma pauvre, avec tes deux jambes paralysées. Qui voudra de toi ? Ta famille va te jeter dehors ! Ah ! Ah ! Et Fateh sort en claquant la porte derrière lui. «Mes s?urs ne me rejetteront jamais. Elles sont bonnes, Lyamna et Zohra. C?est ma chair et mon sang ! Et il y a aussi mon frère Ali ! Non, je ne manquerai de rien et je resterai chez eux jusqu?à ma mort !» Et l?aveugle continue de se parler dans le noir : «Oui, il y a Lyamna, Zohra et Ali? et sa femme Touma ! Oui, j?ai de la famille, j?ai des racines, et mon frère Ali est comme un lion ! Jamais il ne laisserait quelque chose de mauvais m?arriver !» Et toute la journée, et les jours suivants, Khedidja parle, parle de sa famille? Elle énumère même le nom de ses neveux, les aînés car elle ne connaît pas les autres. Il y a longtemps que personne n?est venu lui donner de leurs nouvelles. «Qui donc m?envoie des gandouras, des tricots, un fichu de laine de la ville ? Hein, qui ? C?est mon frère Ali et mes s?urs !» (à suivre...)