Dans un hôpital de Saint Louis, aux Etats-Unis, le patron referme un dossier : «Bon. Eh bien, mes enfants c'est clair. Il faut lui faire une exsanguino-transfusion... C'est la seule chance qu'on ait de sauver ce bébé.» Là-dessus, le patron lève sa haute silhouette genre officier des Marines, passe une main sur ses cheveux gris en brosse et ajoute : «Exécution, mes enfants !» Le plus tôt sera le mieux. Il suffit de trouver les donneurs.» Comme l'affaire se passe en 1951 et que les méfaits du tabac ne sont pas alors formellement établis, beaucoup de praticiens fument encore. Le patron allume donc une cigarette en ajoutant : «Ah !... au fait. Il faut demander l'autorisation des parents.» La médecine depuis cette époque et dans bien des domaines a accompli d'immenses progrès. Aujourd'hui, sans doute, cette histoire ne pourrait pas se produire, mais peu importe. Elle pose un problème de fond sur lequel on n'a pas fini de discuter. Cherryl Lynn est un petit bout de femme qui ne se doute pas de l'émotion qu'elle va provoquer : elle n'a encore que quelques mois. Née au printemps précédent, Cherryl semblait normalement constituée. Hélas ! on s'aperçut bien vite qu'au lieu de profiter, elle dépérissait. Sur la recommandation d'un médecin, ses parents l'ont fait transporter dans cet hôpital. Après quelques jours d'observation, le patron n'a eu aucune peine à déceler une forme très grave de leucémie. Dans la leucémie, les globules rouges sont détruits par les globules blancs, entraînant un dépérissement de l'organisme. Dans cette forme particulière, la mort survient en quelques mois. En 1951, le seul remède applicable, surtout pour de tout jeunes enfants, est l'exsanguino-transfusion. Peut-être existe-t-il aujourd'hui un autre traitement. Mais le problème n'est pas là. Il suffit de savoir que l'exsanguino-transfusion consiste à remplacer entièrement dans les artères du bébé le sang mal constitué par un sang normal pris à des donneurs soigneusement triés. C'est donc tout à fait par acquit de conscience que le patron responsable de Cherryl Lynn fait prévenir les parents du diagnostic qu'il vient d'établir et leur demande l'autorisation de procéder à l'application de l'exsanguino-transfusion. Pour lui la réponse ne fait aucun doute puisque c'est la seule chance de sauver le bébé. Or, quarante-huit heures s'écoulent sans réponse. Au matin du deuxième jour, lorsqu'il a fini de dépouiller son courrier, le patron demande : «Au fait, on n'a pas de réponse des parents de la petite Cherryl ? — Non, pas encore, Patron. — Vous leur avez écrit ? — Oui, Patron.» Le troisième jour, le patron jette sur le courrier épars sur son bureau un regard étonné. «Je ne vois pas la réponse des parents de Cherryl ! — Ils n'ont pas encore répondu, Patron.» Sa main sèche et bronzée martelant le bureau, le patron exige l'autorisation des parents : «Ou bien ils sont inconscients.., grogne-t-il, ou bien ils n'ont pas reçu notre lettre. Je veux qu'on leur écrive à nouveau ou qu'on leur téléphone. Bref, qu'on se remue !» Le quatrième jour un assistant prend les devants tandis que le patron vide sur son bureau la corbeille qui contient son courrier : «Nous n'avons pas encore la réponse des parents de Cherryl. Mais je les ai eus au téléphone : ils me l'ont promise pour demain.» Le patron lui jette un sombre regard, chargé de reproches et d'étonnement. Sans doute est-il ahuri qu'on puisse être aussi négligent avec la vie d'un enfant. Peut-être aussi se demande-t-il sans rien dire : «Qu'est-ce que ces gens mijotent ?» (A suivre...)