On les croise souvent, que ce soit aux marchés publics ou celui de gros à la sortie de la ville et dans d'autres endroits de la ville de Bouira. Ce sont des enfants dont l'âge ne dépasse pas – pour la majorité - la quinzaine d'années, et qui travaillent durement pour gagner quelques hypothétiques dinars. Ils sont exploités par des commerçants peu regardants et pour qui ces gavroches font vraiment l'affaire. « C'est vrai, reconnaîtra un commerçant, des enfants travaillant à cet âge, ça fait de la peine, mais que faire quand on sait que le seul moyen de les aider est de leur donner du travail. Dommage, on ne peut pas faire mieux ! C'est l'Etat par contre qui doit prendre ses responsabilités ». Pour un autre, « ce phénomène n'est autre qu'une preuve concrète d'une extrême pauvreté qui ronge des pans entiers de notre société ». Là, les avis semblent partagés, car pour expliquer les raisons qui poussent ces enfants à travailler, certains évoquent la pauvreté des parents au moment où d'autres évoquent l'échec scolaire qui en serait à l'origine. Cependant, une virée au marché de la ville de Bouira, un milieu de concentration de ces enfants travailleurs, renseigne bien sur le phénomène. De petites silhouettes tiennent des étalages de différentes marchandises. Tout passe, des fruits et légumes, tabac, cacahuètes… etc. pour d'autres, les moins lotis, le boulot disponible est celui du chargement-déchargement de la marchandise. Certains parmi ces mômes se dotent même des charrettes dont ils se servent pour transporter la marchandise, mais — bien sûr— pour gagner de l'argent. Hamza, âgé de 16 ans, issu d'une famille pauvre, originaire d'Ath Laâziz, nous servira de guide au cours de cette virée. Il nous racontera qu'il s'est installé dans ce marché depuis déjà « un bon bout de temps », lui qui fut « recruté » en compagnie de deux de ses amis, par un commerçant qui s'en sert comme des vendeurs à la criée. Hamza raconte qu'il a quitté l'école à l'âge de huit ans — puisque, son père ne pouvait pas lui assurer sa scolarisation — et depuis, lui et ses copains sillonnent le marché moyennant une rétribution de 400 DA/jour. Ces enfants issus de couches sociales défavorisées, sont donc appelés à venir en aide à leurs familles. Triste quotidien Une fatalité amère ! En effet, quoi de plus dur pour un gamin que de ne plus pouvoir jouer dès lors que la misère l'accueille sans aucun égard. Dès leur plus jeune âge, ces trois chérubins ont appris à « déguster » l'amertume et les dures conditions de vie. Malpropres, un peu pantois, ils nous livrent, quand même, leur version et dévoilent leurs misères. « Nous n'avons pas le choix. Moi, dira Hamza, je dois travailler même pour 200 DA, cela suffirait au moins à l'achat d'un sachet de lait pour mes petits frères. Nous autres, nous sommes dans l'obligation, et nous sommes des dizaines dans cette situation où certains commerçants, des fesse-mathieu, nous font travailler à raison de 100 DA ». Ces enfants, selon leurs témoignages, travaillent du lever du jour jusque tard dans la soirée. Ils ne reçoivent leurs dus que lorsque la recette de la journée est mise entre les mains du « patron ». « Nous sommes contraints de nous réveiller tôt le matin, avant 5 heures, pour préparer l'étal, et nous devons supporter les insultes de notre patron, nous n'avons pas d'autre choix … », témoignent-ils. A midi, les trois gosses se contentent d'un morceau de pain et d'une bouteille de limonade (basse qualité) quand la recette du jour le leur permet. Car, des fois, ils s'en passent faute d'argent frais. Triste est leur quotidien, ces enfants à l'âge de jouer sont mal habillés, mal nourris, et travaillent durement pour des rémunérations dérisoires. Certains d'entre eux sont logés dans les locaux du marché, exposés aux agressions perverses et dans des conditions lamentables ou l'hygiène n'a pas droit de cité. Dans ces circonstances pénibles, ces chérubins d'aujourd'hui ne peuvent être que des monstres de demain puisqu'ils sont à la merci des différents fléaux sociaux qui se les accaparent. Hamza, en compagnie de ses deux infortunés compagnons, n'échappe pas à la règle de dépravation. Ils ont, eux aussi, leur « coin » pour se saouler au « Zambretto » (un mélange d'eau et d'alcool à brûler) et partager un « joint » quand les moyens le permettent. « Nous ne sommes pas des adeptes, mais des fois cela vaut la peine. Ça soulage… », déclarent-ils à l'unanimité. C'est dire combien le mal est profond, et le mal vécu par ces gamins va crescendo. Malheureusement, le même constat est fait à plusieurs niveaux, où l'Etat se fait de plus en plus absent. Des enfants au charbon, on en trouve pratiquement partout et plus particulièrement dans les marchés. C'est d'ailleurs le cas du marché de gros de Bouira, où des dizaines d'enfants viennent chaque matin, à partir de 3 heures, pour travailler. Des commerçants sans vergogne les exploitent sans se soucier de leurs conditions, et en l'absence de tout contrôle des autorités. Les responsables « compétents » ne sont pas encore réveillés à cette heure-ci…et le cauchemar continue pour… les enfants.