Image n Quelques-uns tenaillés par la faim se positionnent sur le trottoir d'en face pour être les premiers à voir le muezzin, leurs sucreries à quelques centimètres des lèvres. Si les fidèles rompent aujourd'hui le jeûne à une heure bien précise sans même entendre le muezzin, c'est parce qu'un calendrier quotidien, publié souvent dans les journaux leur donne ville par ville et région par région, l'heure exacte de cette rupture. Ce calendrier va même plus loin puisqu'il établit de façon scientifique l'horaire du fadjr et du s'hour. Toutes ces commodités bien pratiques n'existaient pas évidemment pendant la période coloniale. Dans les campagnes lointaines, dans les hameaux enclavés de l'arrière-pays, les fidèles ne pouvaient passer à table qu'une fois le jour presque disparu. Indépendamment de ces régions isolées par le relief, comment les choses se passaient dans le reste du pays ? Dans les villages accessibles du Nord ou des Hauts-Plateaux, par exemple, la rupture officielle du jeûne était annoncée par l'appel à la prière du Maghreb par un ou plusieurs muezzins. Lorsque le hameau surplombait une plaine où vivaient des centaines de paysans éparpillés les uns par rapport aux autres, le muezzin brandissait du haut de son minaret un drapeau blanc et l'agitait pour attirer l'attention des habitants du landernau. Cela ne suffisait pas, les autorités coloniales chargeront un travailleur communal de faire exploser tous les jours, en dehors de l'agglomération un bâton de dynamite. Des municipalités qui n'avaient pas les moyens financiers d'acheter des sirènes mettront à la disposition du muezzin un porte-voix. Dans certains bourgs éloignés des centres de communication un charmant rituel avait cours devant les mosquées, une demi-heure avant la rupture du jeûne. Une dizaine de gamins, pas toujours les mêmes, se réunissaient spontanément, une zlabia à la main. Les uns font le ramadan pour la première fois de leur vie, les autres pour le deuxième jour de leur vie. Tous des novices et tous pressés de mordre dans leur sucrerie. Quelques-uns tenaillés par la faim se positionnent sur le trottoir d'en face pour être les premiers à voir le muezzin, leurs sucreries à quelques centimètres des lèvres. Mais à l'intérieur des familles qui tiennent à la tradition, les choses se passent autrement. Le premier jour de jeûne pour le garçon est fêté de la manière suivante, surtout lorsqu'il n'a que 9 ans : le doyen ou la doyenne, en général la grand-mère, lui bande la tête d'un foulard blanc légèrement imbibé de vinaigre au cas où il se plaindrait d'un éventuel mal de tête. Ce parent a la lourde charge de lui tenir compagnie toute la journée pour lui faire oublier sa faim. Un repas spécial lui est alors mitonné avec en dessert des confiseries. Dans certains foyers, qui ont les moyens, le gamin est habillé pour ce jour particulier d'un ensemble traditionnel avec babouche et gandoura assorties et parfois même une «chéchia»turque.