Le Ramadan est une époque à nulle autre pareille ! Dans les temps anciens en Kabylie, le premier jour du Ramadan était toujours une fête. Certes, les tables semblent un peu mieux garnies aujourd'hui, mais la convivialité, l'esprit d'entraide..., bref, tout ce qui fait le charme de ce mois sacré, entre nous, ne sont plus ce qu'ils étaient ! Le pays était alors occupé et les gens avaient faim mais les esprits étaient moins tournés vers le lucre et la fraternité des paysans sans terre qu'étaient nos père était proverbiale! Pour que les gens puissent commencer à jeûner, il fallait obligatoirement qu'ils puissent voir le croissant de lune ou être informés par le crieur public un jour de marché par exemple. En certains endroits, c'est le marabout du coin, versé dans les saintes écritures, qui annonce le début et la fin du mois sacré. L'avant-veille du Ramadan était toujours une soirée historique. Les gens venus des hameaux se réunissaient au café du village qui faisait office de chef-lieu de commune. Les paysans qui goûtaient à la viande une à deux fois l'an, savaient que la djemaa allait immoler un taureau ou deux pour l'occasion. Les bêtes étaient d'ailleurs achetées bien avant. On s'organisait pour le lendemain. C'était à qui se proposerait pour les tâches à faire et nul ne rechignait à l'ouvrage ! Les garçons à peine sortis de la première enfance allaient se faire coiffer pour la première fois et les mamans se faisaient déjà toute une fête pour l'événement. Ce n'est que tard dans la nuit que tout le monde rejoignait son chez-soi. Pour les filles, c'était henné et chansons et pour les garçons outre «l'ourar» en quelque endroit éloigné du village, c'était généralement un ravin ou une aire à battre en dehors du village qui accueillait les joyeux drilles pour une soirée bien animée avec tambourin et derbouka. Les adultes sont certes soucieux et pensent au meilleur moyen de subvenir aux besoins un peu spéciaux du Ramadan, chez les paysans, du moins autrefois la viande était très rare. Aussi, dans les foyers a-t-on toujours un peu de graisse séchée achetée chez l'épicier au poids. Une marchandise qui semble avoir disparu des étals de nos jours. Cette graisse donnera un peu de gras à la soupe, en fait un brouet où surnagent une ou deux pommes de terre avec quelques brins de vermicelle. Les mères de famille sont pour leur part, prêtes depuis longtemps avec les habits, les vêtements de la famille et la literie lavés. Le Ramadan, dit-on, n'aime pas «arriver» dans des foyers sales. Pour ce qui est de la nourriture, les femmes ont déjà roulé le couscous pour tout le mois et il suffira, le moment venu de puiser dans la jarre alors que les ikouffènes sont remplis de figues sèches et aussi de blé. Dans les foyers, les maîtresses de maison veillent à ce que les ikouffènes soient pleins pour le Ramadan et si le mois sacré tombe en hiver c'est encore plus important. Malgré le Ramadan, le travail ne s'arrête pas et il faut compter avec les olives à ramasser ou alors les figues à faire sécher. Il y a aussi les bêtes à nourrir et ce n'est pas une simple affaire en ces régions de montagnes en hiver. En été, c'est plus difficile avec la rareté de l'eau. Premier jour de jeûne Un peu comme partout à travers les régions d'Algérie, le premier jour de Ramadan est toujours un événement exceptionnel. Dès la veille, qui est la nuit du doute, les gens sont à l'affût de la nouvelle lune. Tout le monde voudrait bien apercevoir le croissant. Rares sont ceux qui l'observent mais ceux-là, les chanceux, voient leur réputation établie pour longtemps et à des lieues à la ronde. Une fois que la nouvelle est parvenue au village, c'est généralement avec force beignets qu'elle est accueillie. Les fellahs n'ont pas tellement l'occasion de faire bombance et quand l'occasion se présente, quand ils le peuvent, il y vont gaiement. Les gamins, pour une fois autorisés à veiller jusqu'à une heure assez tardive de la nuit, se pressent de demander aux parents de les réveiller à l'heure du s'hor, le repas du petit matin, que prend tout jeûneur, avec l'intention bien arrêtée de jeûner le lendemain. Evidemment, les filles même les moins âgées sont doucement encouragées par les mères à jeûner. Le réveil est bien difficile pour tout le monde en ce premier jour de Ramadan et le travail semble plus difficile. Mais malgré tout, c'est dès le petit matin que la maisonnée se rend aux champs en période d'olives et aussi en été. Ce jour-là, la maman prévoit tout de même un peu de galette et un peu d'eau pour les petits jeûneurs au cas où... et cela arrive souvent que la vaillance ne soit plus là vers la fin de la matinée. Les enfants qui tiennent le coup, et ils sont relativement peu nombreux, sont alors consacrés rois de la soirée. Montés sur le toit de la maison avec une bonne platée de couscous et un grand morceau de viande et des oeufs, ils déjeunent ainsi sous l'oeil attendri de maman. Les garçons les plus costauds ou les plus courageux tiennent le coup et souvent arrivent à jeûner plusieurs jours. Le mois de Ramadan est divisé en trois décades. La première est appelée décade du cheval, car le corps ayant relativement encore quelques réserves résiste davantage aux affres de la faim et de la soif, la seconde étape de dix jours est la décade du chameau, les jours sont longs et pesants et enfin la troisième et dernière décade est celle de l'âne. Les jours étant aussi capricieux que cet animal et les jeûneurs ont cette impression que le maghreb, l'heure de la rupture du jeûne, n'arrive pas assez vite. Lors de la rupture, l'on conseille de commencer par avaler une figue ou une datte. Selon les saints hommes versés dans les études théologiques et ils étaient très rares à l'époque, le Prophète (Qsssl) faisait ainsi. L'annonce de l'heure de la rupture était différente d'aujourd'hui dans les villages ayant une mosquée et ils étaient rares. Les choses sont réglées par le muezzin mais dans les hameaux de la Kabylie profonde, il ne faut compter que sur soi-même. Aussi, avec la rareté des montres, c'est le villageois qui a la chance de posséder un poste TSF avec des grosses batteries qui faisaient office de bureau de renseignement pour la communauté. Quand par hasard l'on n'avait ni l'un ni l'autre, alors le père de famille se rabat sur la bonne vieille méthode des deux fils. Il fallait que celui-ci soit incapable de distinguer dans le soir tombant le fil blanc du fil noir pour que la famille soit autorisée à déjeuner. Dans les temps plus anciens, on observait le soleil et c'est selon sa position que l'on décrétait les étapes de la journée. On raconte que en ces temps-là et dans un village de Kabylie, un muezzin s'était trompé et en plein milieu du jour avait appelé les fidèles à la prière du maghreb, donc annoncé ce faisant le moment de la rupture du jeûne. Au bout de quelques minutes et après que les gens ont déjeuné le soleil fait une timide apparition. Aussi voilà notre muezzin qui recommence son appel mais cette fois pour demander aux gens qui n'ont pas encore mangé de ne pas le faire et pour les autres il est conseillé de se rincer la bouche et de continuer à jeûner le reste de la journée. Les soirées dans les villages Les soirées de Ramadan étaient assez animées dans les villages. Du temps de la colonisation, la majeure partie des Algériens vivaient dans les montagnes et les villages étaient très populeux. Les cafés, en fait, des gourbis baptisés pompeusement cafés mais certainement très conviviaux regroupaient toute la population adulte. Les jeux de dominos, de cartes ou de loto étant réservés à quelques argentés ne commençaient à apparaître qu'après que les vieux soient rentrés chez eux. Le loto est une affaire très importante: d'abord on fait attention à ce que les agents de l'autorité ne soient pas prévenus, ensuite on choisit un endroit très retiré et on y place même des guetteurs au cas où... Le jeu est très attirant avec la manière bien spéciale qu'ont les tireurs d'annoncer les numéros. Plongeant sa main dans un sac où se trouvent mêlés les jetons numérotés, le tireur lit et à haute voix le numéro tiré: «l'As Allah yestar ! Trois le roi, douze agendouze (le veau), treize place d'Italie...». Il faut dire que les paysans de Kabylie immigrés pour la majorité connaissent davantage les places et rues de Paris que celles des villes du pays. Ces soirées de loto qui ne nécessitent souvent que très peu de menue monnaie, ne sont pas ces séances d'aujourd'hui où des billets et des sommes énormes sont mises en jeu. Les joueurs qui suivent attentivement la progression des pions sur les cartons annoncent: au pion! quand ils ne leur reste qu'une case à remplir. Les moins argentés se réservent quelques ravins où du soir au petit matin ce ne sont que concerts de chants et les guitares et les derboukas mènent la danse. Les femmes, elles, se font des visites et généralement les jeunes filles se regroupent dans la maison de quelque veuve où entre elles et en l'absence des hommes, elles s'adonnent à des soirées très gaies où le chant et le rire sont rois. Les plus jeunes ont pour eux toute l'esplanade de la djemaa pour des parties endiablées de cache-cache ou encore c'est un adulte qui ramasse autour de lui les nuées de bambins pour quelque histoire où l'ogre et les lions se partagent les beaux rôles. Le Ramadan jadis, n'était pas des soirées de bombance, les temps étant moins riches mais les gens savaient très bien se divertir et la solidarité entre pauvres n'était pas un vain mot. La table était certes bien chiche et les repas ne comprenaient souvent que la seule platée de couscous. Les temps ont changé et c'est tant mieux d'une certaine façon. Mais les gens semblent devenus pmoins solidaires. Il n'est pas possible autrefois de traverser un village à l'approche de la rupture du jeûne sans se faire inviter et avec insistance par les paysans à partager le repas du jour. La solidarité est une notion très importante, tout le monde y tenait et l'opprobre tombait sur les paysans qui ne partageaient pas avec les pauvres et avec le voyageur. Dans ce dernier cas surtout, c'est tout le village qui se sent insulté quand l'un des siens refuse de la nourriture à l'étranger. Autres temps, autres moeurs!