Il advint une année de famine pour les bêtes sauvages habitant le maquis. Tout ce qui avait petites oreilles dressées et pattes trottinant mourait de faim, tous ceux qui disent ; nous voulons dormir. S'étant donné le mot, ils rassemblèrent sur une croupe buissonneuse, se mettant à l'abri de bouquet de cactus, pour n'être pas vus de ceux qui possèdent les énormes molaires, les défenses et les griffes. Il y avait là chacal et Hérisson, chacun de son côté. Ils surveillaient, se souvenant des méchancetés qu'ils s'étaient faites. Tous ceux qui faisaient cercle étaient bien maigres, sauf Hérisson, chasseur de vermine, qui n'avait pas souffert ; il avait pris du ventre. Chacal se sentait des démangeaisons au menton, il avait envie de manger Hérisson. Sa bouche s'humectait et laissait déborder sa salive. Il se disait : Ô Morceau de poitrine, le manque de force me prive de toi. Les autres bêtes ne savaient que dire. Ils se demandaient d'où leur viendraient les vivres. Tout à coup, le chat, fils de lion, parla ; il leur rappela le repas que le lion leur avait offert quand il avait eu la fièvre : Quelle galopade ce jour-là ! Nous nous sommes mis en route tout tremblants ; nous craignions que le roi des animaux ne nous dévore ; c'est lui qui nous a fait manger. Il y avait de tout et du meilleur. Que de lait nous avons bu ! Que de viandes nous avons mangées ! Combien d'œufs avaient été cuits ! Et encore, Chacal, avec ses petits yeux malins, en rajoutait : Malgré les pièges que je lui avais tendus les mangeailles qui avaient été servies. Avec des cris, ils dirent ce que chacun préférait. Le chat vanta le lait : Jamais ne reviendra un jour pareil ; j'ai lapé tant de lait que ma bedaine en était toute gonflée. Chacal, mangeur d'agneaux, dit : Tu t'y connais, muet mangeur de rats ? Y a-t-il meilleur qu'un morceau de plat de côtes ? Même pour un malade, il en faut très peu. Le serpent dit : Plaisanteries que tout cela. Pour moi, rien ne vaut les œufs. Ce jour-là, Dieu m'a comblé ; j'en ai gobé un tas énorme. Si cela ne dépendait que de moi, je ne dépenserais pas mon argent pour des broutilles et ne chercherai que les œufs qu'on n'a pas besoin de mâcher. Ils faisaient de plus en plus de vacarme en raison de l'appétit et la gourmandise qui les possédaient. Hérisson, qui avait l'estomac bien garni, avait la tête cassé de tous ces discours et n'y trouvait aucun sens : autant semer dans la rocaille. De sa petite voix, il dit : Laissez-moi tranquille, imbéciles qui cherchaient l'impossible. On dit : «Les At-Ghorbri, quand ils rêvent de figues, ils en parlent.» Dans la disette où nous sommes, une figue tombée avant maturité, nous ne trouvons pas à nous la mettre sous la dent et vous demandez des denrées hors de prix ; de la viande, des œufs, du lait. La viande est appréciée ; la bonne viande nous l'aimons tous mais elle vient de la montagne infertile. (A suivre...)