Investigation - Amar Belkhodja, ancien journaliste au quotidien El Moudjahid, revisite l'histoire différemment. Amar Belkhodja signe un nouvel ouvrage aux éditions Alpha. Il a pour titre ‘En épiant L'histoire'. Dans ce livre de près de 400 pages, l'auteur, passionné d'histoire, revient sur des événements et des figures ayant marqué, de quelque manière que ce soit, l'histoire de l'Algérie. Des faits et des personnages que le discours officiel a omis. «Ce livre, fruit d'une investigation longue et fouillée, comporte des études concernant des personnalités et des événements», explique l'auteur qui aborde le personnage de l'Emir Abdelkader et de son petit-fils l'Emir Khaled. Il évoque également d'autres personnalités historiques, à l'exemple de Ferhat Abbas, Chakib Arsalan… Il relate des actes comme «l'unité magrébine et le combat anticolonial», «le pacte nord-africain», «les universités du Maghreb», «la plateforme du Congrès de la Soummam »… Tous ces faits et ces personnages méconnus des Algériens et pour cause : une histoire tronquée, détournée, parfois falsifiée. «Si je prends l'exemple de l'Emir Abdelkader, c'est parce que, hormis ce qu'on a écrit sur lui, des dizaines et des dizaines d'ouvrages, il reste toujours quelque chose qu'on ignore», dit-il et de poursuivre : «Je donne l'exemple de sa captivité de 1847 à 1852, on ne sait pas dans quelles conditions il a vécu sa captivité. On a l'impression qu'il menait une vie de château, lorsqu'on évoque le château d'Amboise. Or il séjournait dans des annexes étroitement surveillées, sujet à un régime austère. Ce n'était donc pas une captivité agréable. On ignore aussi tout sur son séjour en Turquie ou encore très peu de choses sur son séjour à Damas.» Amar Belkhodja déplore que les jeunes Algériens ne connaissent pas l'Emir Khaled, petit-fils de l'Emir Abdelkader. «A part le travail rigoureux et intéressant que nous a légué le professeur Mahfoud Kaddache, il n'y a pas de travaux sur l'Emir Khaled, d'où mon intérêt pour exhumer quelques événements vécus par ce grand personnage qui dès le début du XXe siècle, a semé le sentiment nationaliste au sein de la société algérienne. Il a éveillé les consciences nationalistes. Il s'est inscrit dans la continuité de son grand-père : poursuivre le combat, mais par le discours d'idées, contre le colonialisme.» Et de poursuivre : «Messali Hadj a assisté à un grand meeting présidé par l'Emir Khaled à Tlemcen ; celui-ci se déplaçait à travers le pays pour éveiller les consciences nationalistes. Le meeting a été, à l'époque, le déclic chez le jeune Messali. Il s'est d'ailleurs nourri du discours politique (nationaliste) de l'Emir Khaled dont il a été influencé. Il a pris, comme l'Emir Khaled, en charge les préoccupations de son peuple.» C'est ainsi que Amar Belkhodja s'insurge contre ceux qui apparentent le nationalisme algérien exclusivement à telle ou telle autre personne. «Ce qui m'intrigue dans tout cela, c'est qu'on efface l'action importante de l'Emir Khaled», regrette-t-il, et de souligner : «La paternité du nationalisme algérien n'est pas exclusive à tel ou tel personnage, elle est partagée entre plusieurs leaders connus ou moins connus, et les méconnus sont nombreux, ils ont souffert, ils ont péri dans les prisons coloniales, d'où l'intérêt d'écrire ce livre, pour lever le voile sur des personnes et des événements dont on ne parle pas.» L'auteur évoque également le personnage d'Abdelkader Hadjali. «Il est le premier président fondateur de l'Etoile nord-africaine, et il se trouve qu'aujourd'hui, malheureusement, certains historiens attribuent, dans la conscience nationale, la création exclusive de l'Etoile nord-africaine à Messali Hadj lequel a pris les rênes de cette organisation.» Il retrace l'itinéraire de Chakib Arsalan, méconnu de la plupart des Algériens. «C'est un combattant précoce, méconnu de la jeunesse algérienne. A 16 ans, il prend les armes aux côtés d'un leader libyen qui s'appelle Souleiman el Barouni, contre l'envahisseur italien ; ce personnage (Chakib Arsalan) est un combattant infatigable contre le colonialisme quelle que soit sa nationalité. Plus tard, il s'installe à Genève et anime un journal ‘La nation arabe'. Dans ses écrits, il incite tous les leaders arabes, notamment maghrébins (Ben Badis, El-Mili, Messali Hadj…) à se mobiliser contre la présence coloniale. De 1920 à 1947, année de sa mort, il n'a jamais abandonné sa plume pour dénoncer cette main mise de l'Europe sur les pays arabes.» «On totalise 50 ans d'indépendance, et on ignore un grand pan de notre histoire, celle notamment qui concerne le nationalisme algérien ; il faut meubler la mémoire collective à travers ce livre – et à travers mes écrits – je m'insurge contre l'oubli. Ne doit-on pas, aujourd'hui, rendre hommage aux oubliés ?» Amar Belkhodja estime la nécessité de mener un travail d'investigation sur l'histoire de l'Algérie. «Il y a tant et tant de dossiers qui restent enfouis dans l'oubli, et une seule plume ne suffit pas à les exhumer», dit-il, et d'ajouter : «Aujourd'hui, après 50 années d'indépendance, l'université algérienne devrait – et il est de son devoir – de former des historiens et historiennes professionnels.»