Résumé de la 6e partie - Dans une station thermale, l'Ombre rencontre une princesse qui lui dit savoir qu'il n'a pas d'ombre... J'ai pour ombre un homme en chair et en os ; qui plus est, de même que souvent on donne à ses domestiques pour leur livrée un drap plus fin que celui qu'on porte soi-même, j'ai tant fait pour que cet être ait lui-même une ombre. Cela m'est revenu bien cher ; mais encore une fois je raffole de ce qui est rare. — Que me dites-vous là ? s'écria la princesse. Oh ! bonheur, mes yeux commencent à me tromper ! Ces eaux sont vraiment admirables. Ils se séparèrent avec les plus grands saluts. «Je pourrais cesser ma cure, se dit-elle ; mais je veux encore rester quelque temps. Ce prince m'intéresse beaucoup ...» Le soir, dans la grande salle de bal, la fille du roi et l'Ombre firent un tour de danse. Elle était légère comme une plume ; mais lui était léger comme l'air ; jamais elle n'avait rencontré un pareil danseur. Elle lui dit quel était le royaume de son père ; l'Ombre connaissait le pays, l'ayant visité dans le temps. La princesse alors en était absente. L'Ombre s'était amusée, selon son ordinaire, à grimper aux murs du palais du roi et à regarder par les fenêtres, par les ouvertures des rideaux et même par le trou des serrures ; elle avait appris une foule de petits secrets de la cour, auxquels, en causant avec la princesse, elle fit de fines allusions. «Que d'esprit et de tact il a, ce jeune et galant prince !» se dit la princesse, et elle se sentit un grand penchant pour lui. L'Ombre s'en étant aperçue, redoubla d'amabilité. A la troisième danse, la princesse fut sur le point de lui avouer que son cœur était touché ; mais elle avait un fond de raison et pensait à son royaume ; elle se dit : «Ce prince est fort spirituel, sa conversation est très intéressante, c'est fort bien ; il danse divinement, c'est encore mieux. Mais, pour qu'il puisse m'aider à gouverner mes millions de sujets, il faudrait aussi qu'il eût de solides connaissances : c'est très important ; aussi vais-je lui faire subir un petit examen.» Et elle lui adressa une question si extraordinairement difficile, qu'elle-même n'aurait pas été en état d'y répondre. L'Ombre fit une légère moue. — Vous ne connaissez pas la solution ? dit-elle d'un air désappointé. — Ce n'est pas cela, dit l'Ombre ; seulement je suis un peu déconcertée parce que vous n'avez pas cru devoir m'interroger sur une matière un peu plus ardue. Quant à cette question, je connais la réponse depuis ma première jeunesse, au point que mon ombre, qui se tient là-bas, pourrait vous en dire la solution. — Votre ombre ! s'écria la princesse, mais ce serait un phénomène unique. — Je ne l'assure pas entièrement, dit l'Ombre, mais je crois qu'il en est ainsi. Toute ma vie je me suis occupée de science et il est naturel que mon ombre tienne de moi. Seulement, en raison même des connaissances qu'elle a pu acquérir, elle ne manque pas d'orgueil et elle a la prétention d'être traitée comme un être humain véritable. Je me permettrai de prier Votre Altesse Royale de tolérer sa manie, afin qu'elle reste de bonne humeur et réponde convenablement. — Rien de plus juste, dit la princesse. Elle alla trouver le savant, qui se tenait contre la porte, et elle causa avec lui du soleil et de la lune, des profondeurs des cieux et des entrailles de la terre ; elle l'interrogea sur les nations des contrées les plus éloignées. Il ne resta pas court une seule fois, et il apprit à la princesse les choses les plus intéressantes. (A suivre...)