Couleurs C'est le printemps. La terre, gorgée d'eau, étend son tapis d'herbe fraîche et de fleurs multicolores. C'est la plus belle saison en Kabylie, surtout si, comme cette année, l'hiver a été généreux en pluies et en neige. ? Arrête un moment, dit Baya à son fils qui, depuis quatre heures du matin, n'arrête pas d'écrire. Arrête et va prendre un peu l'air ; ces livres et ces cahiers vont te tuer ! ? Je ne peux pas, dit le jeune homme, le bac est dans deux mois et demi et tu sais que je suis en retard ! ? Ce n'est pas une raison pour te tuer au travail ! soupire Baya. Si Arezki dit qu'il est en retard, c'est qu'il l'est vraiment ; des grèves intermittentes au lycée ont perturbé fortement sa scolarité. A cela s'est ajoutée une mauvaise grippe qui l'a retenu pendant un mois au lit. Alors, il doit redoubler, voire même tripler d'efforts, s'il veut décrocher ce satané bac ! Surtout que son père, émigré en France, a promis, s'il a le diplôme, de l'inscrire là-bas. Il rêve de faire de l'informatique et d'entrer dans une multinationale, mais ce rêve, il le sait, est subordonné à ce diplôme. Aujourd'hui, il planche sur un exercice de mathématiques et n'arrive pas à le résoudre. De guerre lasse, il jette son stylo et pousse un petit cri de désespoir : ? Je n'y arrive pas ! Sa mère, qui l'a entendu, revient à la charge : ? Arezki, arrête-toi ! ? Je t'ai dit que je ne peux pas ! Il s'apprête à reprendre le stylo mais Baya, autoritaire, le prend. ? Tu va arrêter ! ? Mais, mère? ? Je veux que tu prennes un peu d?air. Et puis, si tu nous accompagnais, ta tante Djazia et moi, au mausolée de Sidi Ali Moussa ? Le jeune homme la regarde, moqueur : ? Moi, t?accompagner à une ziara ? ? Et pourquoi pas ? Cela te permettra de te détendre un peu et de faire un v?u ! ? Un v?u ? ? Oui, demander à Sidi Ali Moussa de t'aider à faire tes exercices, à obtenir ton bac ! Arezki éclate de rire : ? Tu es bien naïve, toi ! ? Je sais que tu ne crois pas aux saints et tu as tort, mais la sortie te fera du bien, j'en suis sûre. Et puis, tu nous accompagneras, ta tante et moi ! Allez, accepte, cela me fera plaisir ! Arezki hésite : ? Cela va me faire perdre une journée ! ? Cela va te reposer ! Tu seras en meilleure forme pour affronter tes exercices ! ? Bon, dit Arezki, j'accepte, mais à condition que toi et ta s?ur ne versiez pas dans le charlatanisme ! ? Nous allons juste pour une ziara, dit Baya, nous ferons des offrandes, nous respirerons un peu d'air et nous reviendrons ! (à suivre...)