Le calendrier lui-même n'est pas d'accord et bloque la réconciliation historique entre la France et l'Algérie. Le 8 mai, l'Algérie célèbre sa libération et la France les massacres commis à Sétif, Guelma et Kherrata le même jour par la puissance coloniale. Les dates se chevauchent mais ne se ressemblent pas. Si le 8 mai est pour la France une fête, pour l'Algérie c'est un deuil. Et quand le 5 Juillet, l'Algérie fête son indépendance et la fin de la grande geôle coloniale, le 14 du même mois, la France fête la prise de sa Bastille. Tout comme le 1er Novembre, fête de sa Toussaint pour la France, correspond au déclenchement de la guerre d'indépendance, en 1954, pour l'Algérie, ce qui a donné ce célèbre jeu de mots: «1er novembre, la fête des morts ; 1er novembre, la fête démarre.» En réalité, pour le premier chevauchement, ce n'est pas une coïncidence – les deux événements sont intimement liés. La France, occupée, était libérée le 8 mai 1945, et l'Algérie, occupée elle aussi, profitait de cette victoire sur le nazisme (à laquelle des légions de soldats algériens ont participé) pour demander sa propre libération. Si à Paris, Françaises et Français jetaient des fleurs sur le général de Gaulle et les soldats américains, en Algérie, les soldats français jetaient les Algériens du haut des falaises de Chabet El Akhra et tiraient dans la foule. Littéralement «le Corridor de l'Au-delà», ces gorges de Kherrata, grand défilé naturel, immense faille qui découpe la montagne, fil d'équilibriste au-dessus de grandioses parois vertigineuses, ont été le théâtre d'un grand massacre. C'est ici que le 8 mai 1945, militaires et civils français se sont prêté main forte pour jeter tous les Algériens qui manifestaient pour plus de liberté. D'où le nom de ces gorges profondes, où le lit de la rivière est à 100 mètres en dessous de la route qui relie Béjaïa, ville côtière à 270 kilomètres à l'est d'Alger, à Sétif, sur les Hauts Plateaux du Centre. Le «Corridor de l'Au-delà», en hommage à ces victimes civiles, jetées vivantes, et dont les râles d'agonie ont longtemps empêché de dormir les quelques villages perchés des environs. A Sétif et Guelma, toujours dans l'Est, les soldats français et les miliciens tiraient aveuglément sur la foule qui manifestait. Le bilan de cette effroyable journée s'élève à 45 000 morts. L'histoire retient qu'au moment où les peuples libérés du monstrueux cauchemar de la guerre et du nazisme s'adonnaient aux réjouissances légitimes que leur rapporte une libération inespérée, tandis qu'en Algérie même ceux qui redoutaient la victoire, se jetaient bruyamment dans la mêlée joyeuse pour célébrer hypocritement la victoire, il fut décrété par le colonialisme féroce, que le peuple algérien ne goutât pas les joies de la libération et ne connût pas la fierté de la victoire. Honte à eux ! Enfin, de quoi je me mêle ? Khelli l'bir beghtah.