Juillet 1947. Il fait un temps radieux sur la Méditerranée. L'aviso «Provence», de la Marine nationale française, fend rapidement les flots. A l'avant du navire, le commissaire Letellier entouré de plusieurs policiers et inspecteurs, dont Louis Giraud. Le commissaire Letellier, chargé du port de Marseille, est en train d'accomplir une mission qui sort de l'ordinaire. Un navire mystérieux, qui ne figure sur les registres d'aucune marine marchande, battant pavillon panaméen, a été signalé en plusieurs endroits de la Méditerranée. Il serait parti de Salonique et, depuis, il n'a fait escale dans aucun port important. Il zigzague en mer. Pourquoi cet itinéraire apparemment absurde ? S'agit-il de contrebandiers ou d'une épave dont l'équipage aurait mystérieusement péri ? S'agit-il de trafic d'armes, car la Grèce, d'où est parti le navire, est alors en pleine guerre civile ? S'agit-il d'immigrants pour Israël, comme ceux de l'«Exodus» ? En tout cas, le commissaire Letellier a reçu l'ordre de l'intercepter. Les yeux sur les jumelles, le commissaire a une exclamation de surprise. A mesure que le point blanc grossit, il constate qu'il ne s'agit pas du banal cargo qu'il attendait. C'est au contraire un yacht de grande taille et visiblement d'un grand luxe. Le «Provence» envoie au navire mystérieux l'ordre de stopper par signaux optiques. Celui-ci obtempère. L'aviso vient se ranger à ses côtés. Le commissaire Letellier n'est toujours pas revenu de sa surprise. Le yacht, qui s'appelle le «Camélia», est, de toute évidence, un bateau de milliardaire. Il y a même une piscine à l'arrière. Alors, pourquoi fuit-il tous les ports, comme s'il se cachait ? Apparemment, cela n'a aucun sens. Accompagné de ses hommes et d'une dizaine de matelots armés jusqu'aux dents, le commissaire Letellier arrive sur le pont. Un homme est là pour l'accueillir. Il est vêtu d'un blazer bleu marine, d'un pantalon blanc et coiffé d'une casquette. Il doit avoir la soixantaine ; bref, l'allure typique du milliardaire. — Je m'appelle Costas Vassiliadis. Je suis le propriétaire de ce navire. Que puis-je pour vous, messieurs ? — Police française. J'ai ordre de fouiller. M. Vassiliadis a un sourire courtois : — Mais bien sûr. Puis-je vous recommander de ne pas trop effrayer mes invités ? Tandis que ses hommes commencent la perquisition, le commissaire se rend seul dans le salon principal. Et là, il a un choc. Il se trouve en présence d'une trentaine de personnes : des messieurs en smoking blanc, des femmes en tenue de cocktail. Ils sont assemblés autour d'une table de roulette ; des serveurs stylés portent des plateaux de rafraîchissements. A leur arrivée, les joueurs se sont figés. Ils étaient tellement absorbés dans leur jeu que, visiblement, ils n'avaient remarqué ni l'apparition de l'aviso, ni l'arrêt du «Camélia». Costas Vassiliadis leur adresse la parole d'une voix suave : — Ces messieurs sont envoyés par les autorités françaises pour vérifier que nous sommes bien en règle. N'ayez aucune inquiétude. Le commissaire Letellier réfléchit rapidement. Maintenant, il comprend un certain nombre de choses. Depuis quelque temps, la police américaine avait signalé le départ des Etats-Unis de plusieurs milliardaires dont le point commun était d'être des fanatiques du jeu. Or ils n'avaient été vus nulle part en Europe. (A suivre...)