Parmi la centaine de jeunes Anglais en classe de neige cet hiver 1962 à Champéry, Neil Humphrey est sans doute l'un des plus jeunes. C'est un petit garçon de treize ans, indépendant pour son âge, il est vrai ; les moniteurs du groupe l'ont toujours à l'œil, sous son bonnet de montagne rouge et blanc : le garnement ne rate jamais l'occasion de faire une bêtise. Cet après-midi le groupe d'enfants, accompagné de guides chevronnés, quitte la station pour aller profiter un peu des pistes d'altitude domaine magnifique où il fait bon skier, à condition de ne pas s'égarer. Arrivé là haut, tout le monde s'en donne à coeur joie, et Neil Humphrey n'est pas le dernier à en profiter. Son plaisir, c'est de slalomer entre ses camarades moins doués que lui. Mais au beau milieu d'une descente, le petit garçon déchausse, tombe et voit son ski droit continuer la course sans lui et disparaître plus bas. Neil s'est fait mal en tombant ; il a dû se luxer le genou. Il se relève tant bien que mal et demande qu'on l'aide à récupérer son ski. — Qu'est-ce qu'il t'arrive ? lui demande un des grands, natif comme lui de Seer Green. — J'ai perdu un ski ! explique Neil. — Eh bien, lance l'autre sans même s'arrêter, rattrape-le ! Neil aurait pu s'en douter : tout à leur plaisir, ses camarades ne se montrent pas très coopératifs. Et le petit garçon comprend vite qu'il va devoir se débrouiller seul. Tout en frottant son genou, il se remet en position et descend tranquillement quelques mètres sur un ski. Arrivé dans le virage un peu plus bas, il retrouve la trace de son ski droit ; celui-ci a quitté la piste pour descendre beaucoup plus bas, dans un endroit escarpé d'où il nargue à présent tout le monde. Là-bas, tout en bas, le ski minuscule semble dire à Neil : «Eh bien, quoi ? Viens me chercher si tu es capable !» Le petit garçon jette un regard autour de lui si quelqu'un le voit quitter la piste, il va encore se faire houspiller. Puis, s'aidant de ses bâtons, il entreprend de dévaler, sur son ski restant, la pente assez abrupte qui le sépare encore de l'autre. Il ne va pas bien loin : l'exercice était trop périlleux et Neil fait cette fois une chute impressionnante ; puis il roule sur lui-même sur près de trente mètres. Dans l'opération, il perd bien sûr son deuxième ski. Neil entreprend de récupérer celui-ci d'abord. Cette deuxième chute a été spectaculaire, mais le jeune skieur s'est fait moins mal qu'à la première. Il se relève très vite et tenant ses bâtons d'une main, remonte vers une petite corniche pour aller chercher son ski gauche. L'endroit est dangereux, tout près d'un précipice qui donne le vertige. Neil commence à s'inquiéter : non seulement ses deux skis vont être difficiles à récupérer, mais tout cela l'éloigne un peu plus de la piste et du groupe ! Maintenant, ses camarades sont hors de sa vue, il ne les entend même plus. La corniche où marche Neil est complètement déserte ; on n'y entend que le vent. Soudain, c'est l'accident. Un morceau de glace se détache, l'enfant perd l'équilibre et bascule dans un très long couloir d'avalanches. Neil est littéralement aspiré vers le bas. Il fait des vols planés terribles, se heurte à des rochers, tourne sur lui-même à une vitesse inouïe, ne sait plus où est le ciel, où est la terre. Il tombe, tombe, sans pouvoir du tout s'y opposer, il tombe à une vitesse de plus en plus vertigineuse. Et puis d'un seul coup, après un choc plus violent que les précédents, ça s'arrête. Neil ne peut pas y croire, il se dit que ce n'est qu'un instant de répit. Mais non. (A suivre...)