Halte - En rentrant chez lui ce soir-là, Azzouz s'arrête comme il le fait d'habitude dans la boutique de son ami dinandier. De l'intérieur de la boutique sombre, Azzouz capte de temps à autre les lueurs changeantes réfléchies sur les plateaux astiqués d'une main méticuleuse, des «delouas» aux flancs rebondis ou d'énormes chaudrons de cuivre rouge que l'on utilise pour les grandes occasions. Moussa lève la tête, regarde le visiteur l'espace d'une seconde, sourit poliment en levant son marteau et se replonge dans son travail. Tac ! tac ! tac, le bruit de l'acier sur le cuivre couvre les marchandages féroces d'une vieille femme et d'un marchand de henné de Biskra, installé près de la boutique de Moussa. — Pourquoi m'en donnes-tu autant ? demande la vieille d'une voix aiguë... Je n'en veux que pour trois douros ! Fâché, le marchand saisit une petite pelle et diminue la quantité pesée, qu'il emballe d'un geste vif, pressé de se débarrasser de la mégère qui n'en finit pas de maugréer. Azzouz, regardant à droite et à gauche, se dirige en flânant vers le petit restaurant. De temps à autre, il se met brusquement de côté, pour éviter les porteurs, la tête et les épaules couvertes d'un morceau de cuir ensanglanté, pliant sous des carcasses de mouton ou de quartiers de bœuf qui vont approvisionner les étals des djezarine. «Bâlek, bâlek...» Quand vers huit heures il retourne à son café, il fait nuit, les lampes à pétrole sont allumées, jetant des ombres furtives sur les murs peints à la chaux. Mouloud est là, avec deux autres amis, ainsi que Brahim. Puis, quelques minutes après, arrive toute la bande des bouchers. Pour rien au monde ils n'auraient voulu rater un tel spectacle ! Tous attendent minuit. (A suivre...)