Pèlerinage - El-hadja Khedidja reste encore à Siouène, se replongeant dans l'enfance. Parfois, elle se mêle aux petits groupes de femmes qui suivent «errissane», les grosses vaches laitières, vers la forêt, d'où elles ne reviendront que le soir, seules, à la queue leu leu, longtemps après que les bergères sont rentrées chez elles, portant sur la tête de gros fagots de bois pour faire cuire des galettes d'orge, dans leur cuisine, des petites cabanes au sommet ouvert pour laisser passer l'âcre fumée du bois. El-hadja Khedidja savoure chaque instant de cette vie paisible et simple, qu'elle aime tant et qui lui redonne comme une seconde jeunesse. Il lui arrive souvent de penser à sa nouvelle bru qui sera arrachée, comme elle, il y a très longtemps, à la vie de la campagne, «la vraie vie», pour celle de la ville, si différente et inutile. Les filles d'aujourd'hui préfèrent la ville, se dit-elle souvent. Le soir, en attendant que Saïd finisse sa classe, elle savoure son café sur le seuil de la maison, regardant de tous ses yeux la vie du hameau, saluée, derrière le grillage de la cour, par les femmes qui reviennent des champs en portant des couffins de légumes qu'elles ont cultivés elles-mêmes car les hommes travaillent en ville, à Collo ou ailleurs, et les chômeurs passent leur temps dans l'unique café, à bavarder et à rire. Ce qui plaît le plus à la vieille femme, outre la nature généreuse qui explose de toute sa splendeur dans les montagnes de Siouène, c'est la simplicité et la générosité des gens vivant dans le hameau, leur résignation aussi. Parfois, la vieille Zohra, la femme de ménage de l'école, vient lui tenir compagnie. — Comment va ton fils, Zohra ? — Toujours pareil, el-hadja ! Il est de plus en plus violent et souvent il me fait peur, surtout quand il n'a plus ses médicaments ! — Que dit le docteur de Collo ? —Il doit être interné, mais moi, je ne peux me résigner à cela ! (A suivre...)