Patrimoine - Tandis que verdissent les prairies, c'est l'odeur suave et enivrante des premiers bouquets de narcisses (el belliri) qui annonce l'arrivée du printemps à Constantine. Une période connue pour être très fructueuse pour les «qettarine» (distillateurs d'eau de fleur d'oranger et de rose). Cette activité traditionnelle, qu'une poignée de Constantinois s'emploie, vaille que vaille, à perpétuer, est un véritable patrimoine, dès lors qu'elle procède d'un savoir-faire ancestral, transmis de génération en génération. Dès le mois de mars, les premiers «boutons» de bigaradiers et de rosiers de la vallée de Hamma-Bouziane, que l'on destine à la distillation, sont attendus avec impatience. Non loin de l'antique Cirta, les vergers et les jardins de Hamma-Bouziane, jadis Hamma-Plaisance, continuent, en effet, en dépit de l'avancée du béton, de fournir une production très prisée des connaisseurs. A la faveur d'un regain d'intérêt observé après une longue traversée du désert, la culture, la cueillette et la vente des fleurs d'oranger et de roses sont devenues un véritable métier. Dans la région de Zouitna, à Hamma-Bouziane, Ahmed El-Hammi est connu pour être le plus important «grossiste» en la matière. Natif de la région, propriétaire de quelques hectares qu'il consacre à l'horticulture, Ahmed achète en gros, chaque année, la production, bien avant la floraison, de centaines d'hectares de jardins. Sans s'attarder sur ses «transactions», Ahmed affirme qu'il «gagne bien sa vie». Cette année, une «kouba» (mesure représentant le contenu d'un tamis) de fleurs d'oranger est cédée, depuis sa source, entre 1 800 et 2 000 dinars, tandis que le prix de la même mesure de feuilles de rose oscille entre 2 200 et 2 400 dinars. Durant la saison florale, la capitale de l'est du pays vit pleinement la reviviscence de la nature avec des expositions et des salons dédiés aux plantes, aux fleurs et à la distillation. Une artisane, Mme Mellouka Zeroual, rencontrée à la maison de la culture Mohamed-Laïd-Khalifa, à l'occasion du Salon de la distillation célébrant ce patrimoine, admet que par moment elle «n'arrive pas à honorer toutes les commandes d'eau de fleur d'oranger et de rose» qu'elle reçoit de Constantine et des villes limitrophes. C'est pourquoi elle tente aujourd'hui d'initier l'un de ses fils à ce métier. Elle veut bien dévoiler le secret du «teqtar» (distillation) et la technique qu'elle emploie. Sur une «tabouna» (sorte de trépied à gaz) l'artisane place son «qettar» (alambic) composé d'une partie inférieure que l'on appelle «tandjra» (un grand récipient en cuivre) dans lequel est mise une «kouba» de roses, et d'une partie supérieure nommée «keskas», généralement en tôle, rempli d'une eau portée à ébullition. En s'élevant, la vapeur dégagée s'imprègne au passage des principes odorants des roses et les entraîne dans un serpentin où un système de réfrigération permet sa condensation. L'essence de l'eau de rose, «rass el qettar», est alors récupérée dans une «meguelfa» (une sorte de fiasque en paille). «L'opération est délicate», commente Mme Zeroual, car, explique-t-elle, «il faut mettre la mesure exacte dans la ‘'tandjra'' et veiller à renouveler l'eau du ‘'keskas'' dès qu'elle commence à chauffer.» C'est, selon elle, «capital» pour réussir la distillation et avoir une bonne essence de rose.