Crise - Deux ministres-clés du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan ont été contraints à la démission ce matin. Ils sont touchés par le vaste scandale de corruption qui fait vaciller l'élite islamo-conservatrice turque au pouvoir depuis 2002. Les ministres de l'Intérieur Muammer Güler et de l'Economie Zafer Caglayan, deux personnalités proches de M. Erdogan, ont annoncé l'un après l'autre avoir quitté leur poste dans des termes à peu près similaires, dénonçant un «complot» visant à déstabiliser le régime islamo-conservateur. «Je quitte mon poste de ministre de l'Economie pour que toute la lumière puisse être faite sur cette ignoble opération qui vise notre gouvernement», a souligné M. Caglayan dans un communiqué. M. Güler a lui expliqué avoir démissionné pour «déjouer un hideux complot». Leur démission intervient avant un remaniement attendu du gouvernement, pressenti par les observateurs, avant la fin de la semaine. Ces deux hommes sont au cœur du scandale financier qui agite la Turquie, car leurs fils font partie des 24 suspects inculpés et placés en détention il y a quelques jours à Istanbul. Ces derniers avaient été arrêtés par la police le 17 de ce mois, lors d'opérations spectaculaires, dans le cadre d'une vaste enquête anticorruption qui fait trembler l'élite au pouvoir. Deux autres ministres, celui de l'Environnement et des Affaires européennes, Erdogan Bayraktar et Egemen Bagis, sont eux aussi les cibles d'une procédure judiciaire pour leur implication présumée dans le scandale. Ces quatre ministres ont pour l'instant nié toutes les accusations. M. Erdogan est rentré à Ankara, hier soir, après une visite de deux jours au Pakistan et devrait rapidement procéder à un remaniement ministériel déjà prévu dans la perspective des élections municipales le 30 mars. Accueilli par des milliers de partisans à l'aéroport de la capitale sous le froid, M. Erdogan a répété la thèse du «complot» qu'il ne cesse d'évoquer depuis la vague d'arrestations de la semaine dernière. «Qu'ils continuent à nous tendre des pièges (...) Nous ne nous ferons pas prendre. Nous continuerons dans la voie que nous estimons être la bonne», a-t-il martelé dans une allocution à la foule qui scandait : «La Turquie est fière de toi !». Mis en cause en juin dernier par une vague de contestation sans précédent à travers la Turquie pour ses dérives autoritaires et islamistes, M. Erdogan est cette fois contesté dans son propre camp, par la confrérie Gülen sur laquelle il s'était jusque-là appuyé pour conquérir et fortifier son autorité et se débarrasser de l'influence politique de la puissante armée, gardienne des principes laïques. Signe du divorce avec la confrérie Gülen, M. Erdogan a lancé une purge sans précédent dans les rangs de la haute hiérarchie policière, où les Gülenistes sont très présents. Une centaine de hauts gradés ont ainsi été limogés en une semaine à travers le pays. Le scandale a aussi eu des répercussions sur l'économie turque, en perte de vitesse après plusieurs années de forte croissance. Dans ce contexte, la banque centrale turque a décidé hier, mardi, d'injecter jusqu'à 6 milliards de dollars de liquidités sur les marchés d'ici à février pour défendre la livre.