Passé ■ Il était à la fois un témoin, un confident et un complice de tous ces moments magiques où il remettait un courrier tant attendu. Aujourd'hui, le texto, le courriel et les NTIC sont en train faire entrer définitivement dans l'histoire de la Poste, la bonne vieille lettre, une carte postale, qui met parfois plus d'une année pour arriver dans une anonyme boîte au bas d'un immeuble après un long voyage. A Bab El-Oued, quartier populaire et populeux d'Alger, beaucoup de nostalgiques, ceux qui avaient des «amis un peu partout dans le monde» se souviennent en effet de cette période où le facteur était presque adulé, un «intime» parmi les intimes. Fatma-Zohra, cadre dans une entreprise se souvient de cette époque. «Je ne pouvais pas attendre que l'on me ramène le courrier. J'attendais de pied ferme le facteur à l'entrée de l'immeuble, mais il refusait de me donner mon courrier. Il me disait que c'est à mes parents de le faire». Et puis elle se rappelle la période des fins d'année durant lesquelles les Algériens, comme partout ailleurs, s'échangeaient avec un plaisir maladif les vœux de «Bonne Année» à travers des cartes à l'effet quasi magique pour ceux qui les recevaient. A Alger, il y avait des «kiosques très prisés, car ils vendaient des cartes de vœux qui répondaient aux goûts de tous», se souvient Ali, un natif de Bab El-Oued. «Nous, à cette époque, on était convaincus que le facteur y était pour beaucoup pour avoir permis cet instant de magie et de bonheur que procurait a priori le fait de recevoir une simple enveloppe mais à la portée peu banale», soulignent plusieurs nostalgiques de cette époque révolue, qualifiée par certains d'«âge d'or» du métier de facteur. En dehors des cartes de vœux, parents et amis s'échangeaient aussi les nouvelles par courrier en y mettant, pour certains, tout un art dans la rédaction et la ponctuation du texte de la lettre, tant et si bien que leurs destinataires décident parfois de les conserver comme de véritables pièces littéraires. Car au-delà de leur contenu, les lettres véhiculent des sentiments, des confessions, des intimités, des souvenirs, des litiges, des malentendus, etc. «Et pour cela, le facteur tient en quelque sorte une place de témoin et de complice», souligne-t-on aussi. Dans les endroits moins peuplés, à l'instar des villages et autres bourgades, la fonction sociale du facteur revêt une importance plus grande : pour être généralement issu du même village, la relation de fidélité et de confiance qui le lie à son voisinage finit par lui octroyer le rôle de «confident», de «conseiller», de «témoin» direct des heureux et tristes épisodes qui ponctuent la vie intime des uns et des autres. «C'est cette confiance qui confère au métier de facteur toute sa noblesse et sacralité», rappelle Hacen A., un facteur à la retraite, qui estime que tout comme le médecin, «le facteur est tenu par l'obligation de réserve et dans son cas, par une moralité à toute épreuve».