Aujourd'hui, le texto, le courriel et les NTIC sont en train faire entrer définitivement dans l'histoire de la Poste la bonne vieille lettre, une carte postale qui met parfois plus d'une année pour arriver dans une anonyme boîte au bas d'un immeuble après un long voyage. A Bab El Oued, quartier populaire et populeux d'Alger, beaucoup de nostalgiques, ceux qui avaient des ''amis un peu partout dans le monde'' se souviennent en effet de cette période où le facteur était presque adulé, un ''intime'' parmi les intimes. Fatma-Zohra, cadre dans une entreprise se souvient de cette époque. "Je ne pouvais pas attendre que l'on me ramène le courrier. J'attendais de pied ferme le facteur à l'entrée de l'immeuble, mais il refusait de me donner mon courrier. Il me disait que c'est à mes parents de le faire". Et puis elle se rappelle la période des fins d'années durant lesquelles les Algériens, comme partout ailleurs, s'échangeaient avec un plaisir maladif les voeux de ''Bonne Année'' à travers des cartes à l'effet quasi magique pour ceux qui les recevaient. A Alger, il y avait des ''kiosques très prisés, car ils vendaient des cartes de vœux qui répondaient aux goûts de tous'', se souvient Ali, un natif de Bab El Oued. "C'était un moment exceptionnel que celui qui consistait à choisir les cartes les plus esthétiques, les mots à y écrire, et surtout le moment irréel de leur envoi, le denier geste qui les met la boite aux lettres de la poste'', se rappelle Mohamed, fonctionnaire et la cinquantaine bien entamée. Pour lui, ''l'exaltation était encore plus grande lorsque j'en recevais. Cela me procurait une joie intense", se souvient-il. ''Nous, à cette époque, on était convaincus que le facteur y était pour beaucoup pour avoir permis cet instant de magie et de bonheur que procurait à priori, le fait de recevoir une simple enveloppe mais à la portée peu banale'', soulignent plusieurs nostalgiques de cette époque révolue, qualifiée par certains d'"âge d'or" du métier de facteur. En dehors des cartes de voeux, parents et amis s'échangeaient aussi les nouvelles par courrier en y mettant, pour certains, tout un art dans la rédaction et la ponctuation du texte de la lettre, tant et si bien que leurs destinataires décident parfois de les conserver comme de véritables pièces littéraires. Car au-delà de leur contenu, les lettres véhiculent des sentiments, des confessions, des intimités, des souvenirs, des litiges, des malentendus, etc... ''et pour cela, le facteur tient en quelque sorte une place de témoin et de complice aussi", souligne-t-on aussi. Dans les endroits moins peuplés à l'instar des villages et autres bourgades, la fonction sociale du facteur revêt une importance plus grande: pour être généralement issu du même village, la relation de fidélité et de confiance qui le lie à son voisinage finit par lui octroyer le rôle de "confident", de ''conseiller'', de ''témoin'' direct des heureux et tristes épisodes qui ponctuent la vie intime des uns et des autres. ''C'est cette confiance qui confère au métier de facteur toute sa noblesse et sacralité'', rappelle Hacen.A, un facteur à la retraite, qui estime que tout comme le médecin, ''le facteur est tenu par l'obligation de réserve et dans son cas, par une moralité à tout épreuve''. Courriels, textos, une page est tournée Nécessité d'adaptation aux évolutions du temps oblige, les voeux de "Bonne année" et autres heureux événements ne se transmettent quasiment plus qu'à travers les courriels (Mails) et autres textos (SMS), pour le "gain en temps" qu'ils procurent et parce qu'ils font ''fun'', soulignent les adeptes de technologie. "C'est plus pratique, c'est devenu un moyen inévitable à l'ère du numérique, même s'il existe toujours des nostalgiques des bonnes et irremplaçables cartes de voeux, mais il faut reconnaître que ces derniers se font de plus en plus rares", convient Ali. Nezha compte parmi les férus de la correspondance classique pour souhaiter ses bons voeux à ses proches et amis. A ce jour, elle privilégie le rituel de l'achat d'une "belle carte" aux illustrations expressives et affirme ne pas échanger "toute l'émotion" que lui procure le choix et l'envoi d'une carte de voeux contre un "expéditif" et "laconique" texto. "Je continuerai à le faire car je trouve que c'est plus chaleureux et plus personnalisé qu'un texto, même si cela est pour ainsi dire passé de mode", affirme-t-elle. Le facteur est le "messager" du bonheur mais aussi, hélas, de nouvelles moins bonnes, résume Akli, un "passionné" des attentes du facteur, de la bonne vieille méthode de communication, et qu'il ne veut pas abandonner "pour rien au monde". (Par Mekioussa Chekir)