Commémoration ■ Le Rwanda entame à partir d'aujourd'hui, les commémorations du 20e anniversaire du génocide... En 100 jours, entre avril et juillet 1994, le dernier génocide du XXe siècle, commis par le régime hutu, a fait au moins 800 000 morts, essentiellement au sein de la minorité tutsi et parmi les opposants hutu. Vingt ans après, le Rwanda connaît un développement économique exemplaire, mais la «réconciliation des cœurs» reste un objectif lointain, estiment des experts, et certains n'excluent pas un retour des violences. «Parfois (...) je me sens devenir fou»... Assis bien droit, les mains jointes, Jean-Bosco Rurangirwa continue d'être hanté par la vision du massacre de sa famille à la machette en 1994, dans une église du centre du Rwanda où, avec des milliers d'autres Tutsi, il se croyait à l'abri. «Quand vous avez vu tant de cadavres (...) - et parmi eux j'ai vu ceux de ma femme, de mon père, de mon fils et de ma fille - vous perdez la raison, vous devenez fou», explique-t-il, près de l'église de Nyamata, laissée en l'état et transformée en mémorial. Les trous du toit de tôle projettent des rais de lumière sur les vieux vêtements, lunettes brisées, petite monnaie, qui depuis 20 ans témoignent de la tuerie. Avec de rares survivants, dont sa fille, qui comme lui ont échappé aux tueurs en se cachant sous les bancs ou les cadavres de leurs proches, Jean-Bosco Rurangirwa parvient, la nuit tombée, à s'enfuir vers le Burundi. Sa fille rescapée sera tuée par des miliciens au cours de leur fuite. Vingt ans plus tard, remarié et père de quatre enfants, il peine toujours à affronter le passé: «Quand vous avez vu les cadavres de vos enfants gisant près de celui de votre femme, les mots n'ont simplement aucun sens». Lors des massacres qui ont jalonné l'histoire du Rwanda avant le génocide, les églises avaient toujours été des sanctuaires et servi de refuge. En 1994, elles ne furent pas épargnées et se transformèrent en abattoirs où les bourreaux trouvaient leurs victimes rassemblées, sans échappatoire. Alors que les massacres avaient commencé, à Nyamata, à une trentaine de km de Kigali, entre 2 500 et 5 000 personnes, selon les estimations, s'étaient entassées dans l'église de la commune, pensant y être en lieu sûr. Mais le 14 avril 1994, soldats et miliciens hutu Interahamwe y pénétrèrent après y avoir lancé des grenades et, durant plusieurs heures, massacrèrent méthodiquement, à coups de machette et de gourdins, hommes, femmes et enfants de tous âges. Très peu en réchappèrent. Quelques heures plus tard, les tueurs éliminaient femmes en couches et nouveaux-nés dans une maternité voisine, avant d'attaquer l'église de Ntarama, à une vingtaine de km de Nyamata. La France, «complice et acteur» La France a décidé samedi d'annuler sa participation aux commémorations du 20e anniversaire du génocide rwandais, après une nouvelle charge du président Paul Kagame l'accusant d'avoir «participé» aux massacres. Au cœur du contentieux se trouve la question du soutien de la France et de son armée au régime hutu rwandais, coupable du génocide contre la minorité tutsie. Dans une interview dans l'hebdomadaire Jeune Afrique hier, le président Kagame a dénoncé un «rôle direct» de la Belgique, ancienne puissance coloniale, et de la France «dans la préparation politique du génocide», et «la participation de cette dernière à son exécution même». Il a également accusé les soldats français de l'opération militaro-humanitaire Turquoise, déployée en juin 1994 sous mandat de l'ONU dans le sud du pays, d'avoir été «complices, certes», mais aussi «acteurs» des massacres. Alice, parle du cauchemar qu'elle a vécu «Des groupes d'Interahamwe ont rassemblé tous ceux qu'ils appelaient tutsis dans un seul endroit. Puis ils ont séparé les hommes des femmes. Des centaines d'assassins nous ont entourés, armés de machettes, de fusils et de matraques. Ils ont massacré tous les hommes. Jour après jour, ils amenaient de plus en plus de gens à cet endroit. Le chef des interahamwe sélectionnait les gens à tuer, ainsi que les femmes et les filles à violer. Je n'oublierai jamais la douleur et la peur sur les visages des enfants. Personne ne pouvait les sauver. Elles pleuraient et criaient jusqu'à leur dernier souffle. C'était une mort lente et douloureuse. Les plus chanceux mouraient abattus d'une balle, je fus témoin de l'assassinat de milliers de personnes...»