Rendez-vous ■ Le Printemps des poètes, un rendez-vous initié par l'Institut culturel français d'Alger, revient, cette année, avec une programmation centrée exclusivement autour de Jean Sénac. C'est un hommage que des poètes aussi bien algériens que français tiennent à rendre à cet homme qui, tout au long de sa vie, jusqu'à son assassinat en 1973, et à travers ses écrits, n'a cessé d'affirmer son appartenance à l'Algérie, cette terre qu'il déclamait et où il avait choisi de rester. Il s'est voué corps et âme pour elle. Ce poète rebelle, qui, en 1955, avait rejoint, autant par conviction que par attachement, la cause algérienne : il a milité pour l'indépendance de l'Algérie, tout comme il n'a cessé de militer pour «une société algérienne mosaïque», c'est-à-dire une société qui se reconnaît dans sa pluralité culturelle, donc dans sa multiplicité identitaire, une société qui, selon lui, devait intégrer avec harmonie en une seule composition tous ses éléments constitutifs, sans en exclure aucun. Il voyait l'Algérie comme la nouvelle Andalousie. Et à chaque fois, il déclamait cela. Mais, au fil des années qui ont suivi l'indépendance, Jean Sénac, chez qui la parole est à chaque fois renouvelée et le mot est tout le temps réinventé, a vite déchanté. C'est ainsi que ses rapports tourmentés et passionnés avec son algérianité font de Jean Sénac, ce grand poète de la littérature algérienne d'expression française, un personnage complexe, voire incompris. Et cette incompréhension a fait de lui un homme tourmenté, déchiré. Durant cette semaine poétique qui va s'étendre à Tlemcen, Oran, Alger, Constantine et Annaba, et qui se veut une rétrospective de la vie et de l'œuvre de Jean Sénac, ce poète pleinement engagé dans les réalités de son temps, de nombreux thèmes sont abordés : son parcours atypique, ses quêtes identitaires, ses rapports tourmentés avec son algérianité... Tout au long de ce rendez-vous, le public est invité, jusqu'au 12 avril, à découvrir ou à redécouvrir cet artiste de la culture algérienne, trop souvent occulté. «En effet, l'œuvre de Jean Sénac, qui est ample et diverse, sans être disparate, n'a connu ni en Algérie ni en France une destinée à sa juste valeur», raconte Hamid Nacer Khodja, critique littéraire, estimant toutefois qu'«elle occupe une place particulière dans l'espace littéraire algérien, qui ne retient d'elle que la poésie anticolonialiste (ou militante socialiste après que les armes se sont tues)». Aux tables rondes s'ajoutent des récitals poétiques et musicaux. C'est ainsi que Sapho, chanteuse et poétesse, artiste sans frontières, sera l'invitée vedette de ce Printemps des poètes : celle qui met en musique et porte la parole des grands poètes français, d'Aragon à Baudelaire, en passant par Léo Ferré, va y participer avec deux spectacles : une lecture en musique d'un nouveau recueil de ses poèmes intitulé Poésie Guerre Words y Plat et le concert Velours sous la Terre, où Sapho, éternelle inclassable, mettra en paroles le répertoire classique, entre Bach et Chopin, avec une touche orientalisante. Ce rendez-vous aura lieu ce samedi à l'Institut culturel français d'Alger. Par ailleurs, dans la même journée, un autre récital sera donné à Tipasa. Un autre moment fort poétique auquel participeront des voix de poètes algériens et français. Ce rendez-vous est initié par l'Institut culturel français d'Algérie en partenariat avec l'Agence nationale pour le rayonnement culturel. Enfin, à Oran, un hommage spécial sea rendu, aujourd'hui, aux poètes, algérien, Djamal Amrani, et français, Louis Aragon. Tout au long de ce rendez-vous, les férus du vers découvriront, outre la poésie d'autres poètes, celle de Jean Sénac, une poésie qui apparaît, en reprenant les termes de Hamid Nacer Khodja, comme «une expression d'une parole jusqu'à faire chair avec le langage». Ce dernier explique que la poésie de Jean Sénac est «à la fois écriture et existence, toutes deux en si intense corrélation». Autrement dit, la poésie de Jean Sénac est étincelante, clairvoyante, dotée d'une conscience. Edifiante, elle est «une œuvre-vie». «La poésie de Jean Sénac dit l'homme, elle restitue ses anxiétés et ses espérances, ses doutes et ses certitudes, ses hésitations et ses détours, ses joies et ses désespoirs, ses amitiés et ses intimités», conclut Hamid Nacer Khodja.