Dans "Tombeau pour Jean Sénac", des universitaires et auteurs algériens et français analysent la vie et l'œuvre du poète algérien dans un ouvrage collectif qui parait à l'occasion du quarantième anniversaire de sa mort aux éditions Aden. Dirigé par le professeur de littérature et spécialiste du poète, Hamid Nacer Khodja, ce recueil de textes critiques et de témoignages propose des lectures de l'œuvre de Jean Sénac à partir d'éléments biographiques qui ont constitué des thèmes majeurs de sa poésie, et souligne son rôle "d'animateur culturel" en Algérie, particulièrement à travers ses critiques de peintures et son engagement pour la promotion de jeunes auteurs algériens. Présenté en trois parties ("Voix polyphoniques d'une œuvre", "D'une œuvre polygraphe" et "Le poète en son regard critique"), ce livre de 496 pages a réuni quatorze auteurs, universitaires, poètes, écrivains ou amis de Jean Sénac qui rendent un hommage à la "multiplicité" d'une écriture «anticonformiste", inspirée de ses "drames intimes" (enfance pauvre, absence du père, homosexualité, etc.) et nourrie de son engagement pour l'indépendance de l'Algérie. Ainsi, Christiane Chaulet-Achour propose dans "Mises en scène de Jean Sénac" une lecture du roman autobiographique du poète "Ebauche du père" (1989) et s'attache à analyser la manière dont Jean Sénac s'est construit une identité algérienne en transcendant le flou de ses origines, préférant la "création" et le "fantasme" au témoignage sur son enfance. Cette spécialiste des littératures francophones analyse les différentes représentations de la figure du poète dans des textes, poétiques et des fiction, écrits après sa mort, à l'exemple du livre "Nour le Voilé" (1982) du journaliste français Serge Michel. La quête du poète d'une identité "plurielle" est également évoquée par l'universitaire française, Katia Sanson, à travers la correspondance entre Sénac et sa mère, Jeanne Comma, femme de ménage espagnole qui a joué le rôle, écrit-elle, d' "initiatrice au monde merveilleux où il lui semblait qu'elle était chez elle parmi toutes les communautés" dans l'Algérie d'avant l'indépendance. Dans un autre texte, Dominique Combe, professeur à l'Ecole Normale française, identifie le destin de Sénac, "poète +algérien+ d'origine européenne", mort assassiné le 30 août 1973, à la "tragédie algérienne", prise au sens du tragique chez les Grecs qui confronte, dit-il, "le destin individuel" au "collectif". L'auteur illustre, par ailleurs, son propos par la double évocation de la pièce de Kateb Yacine "Le Cadavre encerclé"(1959) et de "Soleil interdit" (pièce de Sénac jamais publiée), deux tragédies contemporaines écrites durant la guerre. A côté des lectures de l'œuvre du poète, d'autres auteurs comme Michel Georges-Bernard soulignent la proximité de Jean Sénac avec des peintres algériens comme Mohammed Khadda et Denis Martinez et évoquent ses nombreux textes critiques publiés entre 1946 et 1973. Dans "Trois actions de Jean Sénac en Algérie postcoloniale", Hamid Nacer Khodja s'est attelé à mettre en exergue le rôle de Jean Sénac dans la promotion et la construction d'une culture algérienne au lendemain de l'indépendance. L'universitaire et ami du poète rappelle les efforts Jean Sénac pour l'édification d'une culture authentiquement algérienne dès 1962, illustrés dans sa participation à la reconstruction de la Bibliothèque nationale et par sa fonction de secrétaire général de l'Union des écrivains algériens, poste qu'il occupera jusqu'à sa démission en 1967. La dernière période de la vie du poète est au centre des témoignages de Hamid Tibouchi et de Salah Guemriche qui abordent, tous à deux, aussi bien l'extrême dénuement dans lequel vivait Sénac que la dignité et la force dont il a fait preuve jusqu'à sa mort. "Tombeau pour Jean Sénac" est, en outre, accompagné d'une bibliographie complète du poète augmentés d'articles, critiques et journalistiques, consacrés à Sénac en Algérie et en France entre 1954 et 2013. Natif de Beni Saf (Oranie) en 1926, Jean Sénac est l'auteur d'une œuvre poétique riche dans laquelle il a exalté l'amour et la révolution. Ami de René Char et d'Albert Camus, avec lequel il a rompu à cause de ses positions politiques durant la guerre de libération, Sénac a activement milité pour l'indépendance de l'Algérie et la promotion d'un art et d'une littérature spécifiquement algériens. Jean Sénac a été assassiné le 30 août 1973 à Alger.