Oisiveté A quoi peut bien rêver un jeune Algérien de 16 ans dans les années 1950. Un jeune, qui n?a pour tout horizon que les cafés maures de son quartier de M?dina J?dida, le mausolée de Sidi-Blel et les petits commerçants collés à leurs bicoques comme des huîtres à leurs coquilles, à quoi peut-il bien penser ? A l?aventure bien sûr, aux grands espaces, aux océans, aux voyages lointains, à la fortune, au succès, à la célébrité? En ce qui concerne cette dernière, Goudih, issu d?une des plus vieilles familles de la ville nouvelle, que les Français appelaient par dérision «Village nègre» ne se faisait aucune illusion : Marcel Cerdan s?en était totalement emparé, à Oran. Il n?y en avait que pour lui, il n?y avait que lui qui accaparait les caméras, les flashes et les médias. C?est vrai que Marcel Cerdan, qui habitait la rue au-dessus du cinéma Régent, à la limite du quartier Saint-Pierre, était presque une légende, à cette époque. Il est vrai aussi que tous les jeunes qui l?avaient presque adulé tentaient, coûte que coûte, de lui ressembler. Mais pour cela, il fallait monter sur le ring, domestiquer les cordes, travailler ses biceps, son crochet droit, rafler une, puis deux, puis plusieurs médailles? C?est à ce prix que vient la notoriété, les combats pour le titre et, pourquoi pas, comme l?idole oranaise, le titre suprême de champion du monde au Stadium de New York. Goudih le savait : c?était la rançon à payer pour échapper à la monotonie d?une «houma» figée dans un autre âge. Au bout de quelques mois d?efforts et de sueur, Goudih commença à faire parler de lui au niveau d?Oran, puis dans toute l?Oranie. En quelques années où il donnera le meilleur de lui même, Goudih put prétendre à des titres à sa hauteur : champion d?Algérie, d?Afrique du Nord et, pourquoi pas, de France. Grâce à son opiniâtreté, il montera sur les plus grands podiums français, à l?ombre, bien sûr, de Cerdan, Omar le Noir et Chérif Hamia. Et puis arrive la chance, sa chance, au moment où il s?y attendait le moins : un voyage en Amérique pour se frotter aux modèles anglo-saxons. C?était l?occasion de sa vie, l?occasion où il allait enfin pouvoir s?épanouir. Inutile de vous dire qu?après les démonstrations des boxeurs français, l?unique passager manquant à l?appel du retour sur Paris était Goudih. Goudih se recyclera vite dans cette grande ville et restera à l?écoute de son pays. Il se rapprochera de la petite délégation algérienne à l?ONU et, parmi elle, M?hamed Yazid. Devenu chauffeur de taxi par nécessité, il se fera un devoir de piloter ses compatriotes un peu perdus dans cette mégapole hors norme. Pour tous les menus services qu?il rendra aux membres de la représentation de notre pays au palais de verre, surtout en 1958, notre premier ambassadeur officiel à l?ONU en 1963 Cherif Guellal, l?attachera à ses services à titre permanent. Depuis, Goudih a fait son petit trou à New York s?est fait beaucoup d?amis, a beaucoup voyagé et a surtout a réalisé un rêve de jeunesse : réussir ailleurs, sous d?autres cieux, et vivre pleinement le bonheur qu?on a soi-même construit.