Le chebrug, c'est le paysan du Danube de La Fontaine : personnage mal habillé, grossier à souhait, brutal et aux goûts plutôt douteux. Par extension de sens, le mot est venu à désigner toute personne qui ne sait pas bien se tenir et qui a un langage frustre. L'origine paysanne du chebrug apparaît en filigrane, mais on n'a pas besoin de venir de la campagne pour se faire traiter de chebrug ! En fait, le mot est employé pour caractériser tous ceux qui ne s'habillent pas avec goût. Il s'oppose alors à stil (on aura reconnu le français style), expression du bon goût non seulement en matière d'habillement, mais aussi de langage, de lecture, de voiture... On s'accroche à la musique traditionnelle ? On est chebrug ! On ne jure que par les chanteurs anglo-saxons ? On est stil ! On roule dans une quatre-chevaux ? On est chebrug ! On se pavane dans une grosse cylindrée ? On est stil ! On ne parle que l?arabe ou le berbère ? On est chebrug ! On parle le français ou l'anglais ? On est stil... Le mot chebrug provient pourtant de l'arabe et même de l'arabe classique, plus exactement du verbe chabraqa, le «q» classique passant généralement à «g» dans la plupart des parlers maghrébins. La plupart des significations de ce verbe cadrent avec notre chebrug : déchirer en morceaux (les vêtements), dépecer, mettre en pièces, courir en s'agitant dans tous les sens (se dit d'une bête), ne pas soigner son travail, etc. Le mot est passé en français, par l?intermédiaire du turc, et désigne une femme de mauvaise vie : la chabraque. La langue algérienne a produit un verbe, chebreg (faire le chebrug), et tchebreg, de même sens. Le mot a un pluriel, chbareg, et un féminin, chebruga. Il a inspiré aussi des jeux de mots comme celui-là : «Chebreg yebreg, labess lezreg, rafed metrag» (chabrug pétillant, de bleu s'habillant, agitant un bâton?).