Résumé de la 44e partie ■ La fête des morts battait son plein, dans les rues de Singapour ce n'étaient que réjouissances données en l'honneur des défunts. Mais malgré toutes ces femmes, Mei-ling, dont le nom signifiait Belle Intelligence, régnait sans partage sur le cœur de son père. C'était si peu conforme à la tradition chinoise, maugréaient les douairières, en particulier celles dont les fils étaient en âge de se marier, de vénérer à ce point sa fille et de lui laisser la bride sur le cou. A vingt ans, elle n'était toujours pas mariée ! Mais le père de Mei-ling ignorait leurs doléances et leurs reproches. Il se félicitait d'avoir réussi l'éducation de sa fille aînée, qui connaissait l'art de l'écriture et celui de la médecine aussi bien que lui-même ou que n'importe quel autre médecin respectable. Naturellement, elle ne pouvait prodiguer ses soins qu'à des femmes — Mei-ling se consacrait presque exclusivement au bandage des pieds, étant réputée pour la délicatesse de son toucher, et aux accouchements, car les femmes disaient qu'elle portait la chance en elle, et savait attirer sans douleur un bébé hors du ventre de sa mère. — Au secours ! Au secours ! Mei-ling se figea sur place. — Qui a crié ? demanda-t-elle à sa servante. Elles tendirent l'oreille, mais n'entendirent que la musique et les rires, et les pétarades des feux d'artifice illuminant la nuit. — Qu'y a-t-il, Sheo-jay ? demanda la vieille femme, en employant le titre respectueux de «jeune maîtresse». — Tu n'as pas entendu... — Au secours ! — Quelqu'un appelle à l'aide ! Mei-ling balaya des yeux la rue où se pressaient Chinois et Malais en costumes de carnaval, mais ne vit aucun étranger. Or le cri avait été poussé en anglais. — Oh, mon Dieu... — Là-bas ! dit-elle, en désignant une obscure ruelle. Un homme est en danger ! — Mais Sheo-jay... — Viens vite ! Mei-ling s'élança vers la ruelle aussi vite que ses petits pieds le lui permettaient, sa servante, plus âgée et plus corpulente et gênée par le poids du coffret d'ébène, soufflant comme un bœuf à sa suite. Elles atteignirent la ruelle située derrière un cordon d'échoppes. Une bande de voyous était en train de frapper un homme gisant à terre. — Au, s'écria la servante de Mei-ling. Revenez, Sheo-jay ! Il va vous arriver malheur ! C'est la nuit des morts... Mais Mei-ling avançait toujours en criant et en agitant les bras. Les voyous l'ignorèrent tout d'abord, mais quand elle passa sous le halo lumineux des lanternes de papier et qu'ils virent sa robe de soie, ses pieds bandés et ses cheveux richement parés de peignes et d'ornements précieux, ils prirent leurs jambes à leur cou, leurs pieds nus rendant un son sourd sur les pavés de la ruelle. A suivre