Jasmin, pareille à ces plantes auxquelles un lien mystérieux la liait, s?affaiblissait, elle aussi, chaque jour davantage, elle perdit d?abord le sourire, ensuite la parole puis le sommeil et l?appétit. Un voile de larmes la séparait du reste du monde ; la princesse, qui avait ignoré durant toute sa vie la souffrance et le chagrin, en était devenue la pauvre petite proie ; son c?ur se déchirait car elle était sans cesse obnubilée par le parfum entêtant des fleurs de l?affliction. Ces senteurs la suivaient, l?enveloppaient et la ramenaient irrésistiblement vers la plantation, alors elle en arrosait les plants abîmés, tentait de redresser les tiges brisées, retournait même de ses mains de princesse, la terre aux pieds des plants meurtris et mourants, puis, en sanglotant, s?en retournait vers la fenêtre qui donnait sur le souk du malin. Mais jamais plus l?étranger négociant, portant burnous blanc et turban noir, mais jamais plus jamais le marchand de grains de chagrin ne reparut, elle restait de longues heures là, les yeux fixés sur ses sombres pensées, jusqu?à ce qu?un drôle de vent lui souffla au visage des senteurs captivantes, alors elle émergeait de sa langueur, revenait sur ses pas et se remettait à arroser, à jardiner afin de ramener à la vie les arbustes qui, chaque jour, se mouraient un peu plus. Un matin qu?elle était à la fenêtre, elle entendit entre deux lavandières une curieuse conversation, la première disait : «Hier, Pourquoi as-tu abandonné ton linge sur la rive ?» «J?ai abandonné ma lessive, répondit la seconde, pour aller visiter le palais de deux oiseaux, l?un noir comme jais et l?autre blanc comme lait». La princesse, à ces mots sursauta et dépêcha une servante pour lui quérir, sur l?heure, la lavandière à qui elle demanda de narrer l?histoire de l?oiseau noir et l?oiseau blanc. La pauvre femme, bien que surprise, lui raconta : «Majesté, hier, à la pointe du jour, j?étais en train de trier mon linge près du vieux lavoir. Soudain, je vis s?approcher de la rive gauche de la rivière un dromadaire chargé de plusieurs ballots de vêtements : des mains invisibles déchargèrent l?animal puis lavèrent le linge et, sous mes yeux ébahis, le rechargèrent, alors le dromadaire s?en retourna à petits pas. Intriguée, je me suis mis à le suivre sans bruit. Le méhari traversa la forêt et près de la montagne s?arrêta : les arbres s?écartèrent et sur le flanc même du mont, une porte s?ouvrit. Le dromadaire entra et je le suivis, c?est alors que je vis s?envoler d?entre les ballots deux oiseaux, l?un noir comme jais et l?autre blanc comme lait. Les volatiles plongèrent aussitôt dans le bassin du jet d?eau qui se trouvait dans la cour intérieure du palais. A mon grand étonnement je vis ressortir non pas des oiseaux, mais deux magnifiques jeunes hommes l?un noir comme jais et l?autre blanc comme lait». Les deux jeunes gens nagèrent longtemps tout en bavardant et je crus comprendre, d?après leur discussion, qu?ils étaient princes tous les deux, mais le premier, appelé prince-Lasmar 80 avait pour mère la concubine noire du roi alors que le second, prince-Lachegar 81, avait pour mère la première épouse de ce même roi. Ils étaient nés tous deux la même nuit. Le souverain, le lendemain de leur naissance, se montra si arrogant que pour le punir de son orgueil démesuré, le djinn bleu, qui hantait le bassin du jet d?eau du palais, a jeté un sort aux nourrissons les transformant aussitôt en oiseaux. (à suivre...)