Mesure Beaucoup de familles ont été évacuées du vieux quartier qui menace ruine. La Casbah d'Alger n'est plus ce qu'elle était il y a une cinquantaine d'années : beaucoup de maisons se sont écroulées, d'autres, toutes lézardées, tombent en ruines... Le tremblement de terre de 1989 les a sérieusement ébranlées et certaines sont même tombées, mais, heureusement, les habitants avaient été évacués auparavant. Les rues vidées ont été condamnées : plus personne ne peut y pénétrer. Mais la Casbah est un quartier magique : il est difficile de l'oublier quand on y a vécu son enfance ou qu'on y est né... C'est le cas de Hakim et de Nadir, deux jeunes évacués d'une rue en ruines. Ils sont amis depuis toujours, ils sont nés dans la même maison ? une grande maison divisée en appartements, avec une cour intérieure ? ont fréquenté la même école et partagé les mêmes jeux. Le hasard a fait que leurs familles ont reçu des logements dans la même cité et dans le même immeuble ! ? Nous sommes liés à vie ! a dit Hakim en riant. ? Nous resterons amis pour toujours ! a ajouté Nadir. Mais ils ne sont pas à l'aise dans la cité où ils habitent aujourd?hui. C'est pourtant un beau quartier, avec des immeubles aérés, des allées bien tracées et des espaces verts. Mais il leur manque les rues tortueuses de la vieille ville, la maison à la grande cour, avec un puits où les femmes faisaient la lessive ! ? Tu te rappelles, dit Hakim, les nuits de ramadan ? nous étions dehors et attendions que le muezzin appelle à la prière. Nous rentrions alors en courant et nous criions : «Le canon a tonné ! Le canon a tonné !» Nadir rit : ? Aucun canon ne tonnait mais nous avions gardé cette expression d'autrefois, quand on annonçait la rupture du jeûne par un coup de canon ! ? Presque toute la nuit, nous restions dehors ! ? Oui, on descendait à Djamaâ Lihud et à la Place des Martyrs pour acheter des zlabias et des qelb-louz ! ? A Djamaâ Lihud aussi, on a évacué des familles. ? Je sais, dit Nadir, à l?allure où ça va, il ne restera plus grand monde ! Les parents, eux aussi, sont nostalgiques mais ils ont fini par accepter leur nouvelle vie. S'il est vrai qu'il y avait plus de convivialité dans les vieilles maisons, ici, on a plus d'espace et, pour certains, d'intimité. Chacun est chez lui, la porte fermée. On n'a plus besoin de tout partager avec les autres... ? Moi, je regrette la vie d'autrefois, dit Hakim à sa mère, qui lui explique justement les avantages de la vie en appartement. ? Eh bien, retournes-y, si tu peux ! Il y retournerait volontiers, mais, hélas, sa rue n'existe plus ! (à suivre...)