Résumé de la 19e partie n Je le laissai me supplier jusqu'au moment où, vaincu par ses prières, je mangeai devant lui. Enfin, au bout d'un temps que je ne puis préciser, je sentis qu'il m'aimait et que je l'aimais aussi. Dès lors, je fus dompté, le passé s'effaça de ma mémoire, et je consentis à le suivre sur le rivage sans songer à m'échapper. Je vécus, je crois, deux ans seul avec lui. Il avait pour moi des soins si tendres, qu'il remplaçait ma mère et que je ne pensai plus jamais à le quitter. Pourtant je ne lui appartenais pas. La tribu qui s'était emparée de moi devait se partager le prix qui serait offert par les plus riches radjahs de l'Inde dès qu'ils seraient informés de mon existence. On avait donc fait un arrangement pour tirer de moi le meilleur parti possible. La tribu avait envoyé des députés dans toutes les cours des deux péninsules pour me vendre au plus offrant, et, en attendant leur retour, j'étais confié à ce jeune homme, nommé Aor, qui était réputé le plus habile de tous dans l'art d'apprivoiser et de soigner les êtres de mon espèce. Il n'était pas chasseur, il n'avait pas aidé au meurtre de ma mère. Je pouvais l'aimer sans remords. Bientôt je compris la parole humaine, qu'à toute heure il me faisait entendre. Je ne me rendais pas compte des mots, mais l'inflexion de chaque syllabe me révélait sa pensée aussi clairement que si j'eusse appris sa langue. Plus tard, je compris de même cette musique de la parole humaine en quelque langue qu'elle arrivât à mon oreille. Quand c'était de la musique chantée par la voix ou les instruments, je comprenais encore mieux. J'arrivai donc à savoir de mon ami que je devais me dérober aux regards des hommes parce que quiconque me verrait serait tenté de m'emmener pour me vendre après l'avoir tué. Nous habitions alors la province de Tenasserim, dans la partie la plus déserte des monts Moghs, en face de l'archipel de Merghi. Nous demeurions cachés tout le jour dans les rochers, et nous ne sortions que la nuit. Aor montait sur mon cou et me conduisait au bain sans crainte des alligators et des crocodiles, dont je savais le préserver en enterrant nonchalamment dans le sable leur tête, qui se brisait sous mon pied. Après le bain, nous errions dans les hautes forêts, où je choisissais les branches dont j'étais friand et où je cueillais pour Aor des fruits que je lui passais avec ma trompe. A suivre