Résumé de la 20e partie n Mon existence était douce et, tout absorbé dans le présent, je ne me représentais pas l'avenir. Et, comme on remontrait à mon ami qu'il avait lui-même travaillé à me dompter : – Je ne l'ai dompté, répondait-il, qu'avec mes douces paroles et le son de ma flûte. S'il me permet de le monter, c'est qu'il a reconnu en moi son serviteur fidèle, son mahout dévoué. Sachez bien que le jour où l'on nous séparerait, l'un de nous mourrait ; et souhaitez que ce soit moi, car du salut de la Fleur sacrée dépendent la richesse et la gloire de votre tribu. La Fleur sacrée était le nom qu'il m'avait donné et que nul ne songeait à me contester. Les paroles de mon mahout m'avaient profondément pénétré. Je sentis que sans lui on m'eût avili, et je devins d'autant plus fier et plus indépendant. Je résolus (et je me tins parole) de ne jamais agir que par son conseil, et tous deux d'accord nous éloignâmes de nous quiconque ne nous traitait pas avec un profond respect. On lui avait offert de me donner pour société les éléphants les plus beaux et les mieux dressés. Je refusai absolument, et, seul avec Aor, je ne m'ennuyai jamais. J'avais environ quinze ans, et ma taille dépassait déjà de beaucoup celle des éléphants adultes de l'Inde, lorsque nos députés revinrent annonçant que, le radjah des Birmans ayant fait les plus belles offres, le marché était conclu. On avait agi avec prudence. On ne s'était adressé à aucun des souverains du royaume de Siam, par ce qu'ils eussent pu me revendiquer comme étant né sur leurs terres et ne vouloir rien payer pour m'acquérir. Je fus donc adjugé au roi de Pagham et conduit de nuit très mystérieusement le long des côtes de Tenasserim jusqu'à Martaban, d'où, après avoir traversé les monts Karens, nous gagnâmes les rives du beau fleuve Iraouaddy. Il m'en avait coûté de quitter ma patrie et mes forêts ; je n'y eusse jamais consenti, si Aor ne m'eût dit sur sa flûte que la gloire et le bonheur m'attendaient sur d'autres rivages. Durant la route, je ne voulus pas le quitter un seul instant. Je lui permettais à peine de descendre de mon cou, et aux heures du sommeil, pour me préserver d'une poignante inquiétude, il dormait entre mes jambes. j'étais jaloux, et ne voulais pas qu'il reçût d'autre nourriture que celle que je lui présentais ; je choisissais pour lui les meilleurs fruits, et je lui tendais avec ma trompe le vase que je remplissais moi-même de l'eau la plus pure. Je l'éventais avec des larges feuilles ; en traversant les bois et les jungles, j'abattais sans m'arrêter les arbustes épineux qui eussent pu l'atteindre et le déchirer. A suivre