Salim a passé quinze ans de sa vie en taule. Puis, un jour, on lui fera savoir qu?une grave erreur judiciaire a été commise à son encontre. Il a dû «prêter», malgré lui, quinze ans de sa vie au vrai assassin de deux petits garçons. «Non coupable», il retrouve enfin sa liberté, mais à quel prix ? En entendant ces mots, Salim s?effondre dans le box des accusés. Son visage rougit soudainement, puis il éclate en sanglots. Que veut dire le mot liberté après toutes ces années passées en prison ? Ses deux avocats s?étreignent sur le banc de la défense. Son père s?effondre, lui aussi, au moment où la police évacue la salle d?audience. C?est un procès mouvementé. Dès qu?on lui cède la parole, l?accusé reste silencieux un long moment. Que peut-il dire ? Que faut-il dire ? Parler de sa douleur, de sa joie ou de ses quinze ans de vie partie en fumée ? Il promène son regard dans la salle d?audience, scrute les parents des victimes et lance calmement : «Je n?ai jamais voulu faire de mal à personne. Je suis innocent. Je n?ai pas tué vos enfants.» Les parents des victimes, présents depuis l?ouverture du procès, ont tout de suite déserté la cour d?assises. Ils n?ont pas accepté la sentence et ont refusé d?écouter la défense plaider l?innocence de Salim. Seul le grand-père du petit Ali a eu le courage de rester. Le soir du meurtre, ce vieillard a forcé le barrage de police et a vu son petit-fils, la tête écrasée. C?était un enfant méconnaissable et sans visage. Dans leur plaidoiries, les deux avocats ont clamé l?innocence de leur client. Le premier avocat avait même annoncé que Farid, un autre jeune, devrait être dans le box des accusés, car c?est le véritable meurtrier des deux gamins. Ses arguments sont étayés : le soir du meurtre, Farid était présent sur les lieux du crime ; deux témoins l?ont vu, le visage ensanglanté. Cette nuit-là, il avait trop bu. Les deux enfants qui lui lançaient des pierres l?ont dérangé, sa réplique avait été implacable : il les a tués, tout simplement. D?ailleurs, Farid a déjà été accusé d?un crime commis sur un autre enfant. «Que faudrait-il vous dire de plus, messieurs les jurés, pour que vous soyez convaincus de cette évidence ?» L?avocat a démontré également, étape par étape, sa certitude : l?inculpation de Farid, sa promenade à vélo, son hospitalisation après les deux meurtres et ses propres déclarations détaillées faites à la police. «Tous ces éléments réunis font qu?il aurait dû être mis en examen.» Pour sa part, le deuxième avocat a dénoncé l?enquête policière qui a abouti à l?incarcération de Salim, «un adolescent timide et anormalement normal». «Les enquêteurs se sont trouvé un coupable idéal et docile, à défaut de trouver le vrai criminel. Il fallait effectuer une véritable enquête de voisinage pour découvrir qui était vraiment Salim. Farid, le tueur épargné, travaillait dans une entreprise distante de 500 mètres du lieu du crime. La police aurait pu le trouver.» La défense de Salim a ainsi exigé la libération de son client et son acquittement. «Nous demandons de rendre à Salim sa liberté et son honneur, dont il a été privé depuis 15 ans.» Salim est libéré sans un sou en poche. Après 15 ans de détention, il doit aujourd?hui refaire sa vie. «Dès que j?ai mis les pieds dehors, j?ai levé ma tête et vu le ciel. C?était magique. Merveilleux. C?était quelque chose que je n?avais pas vu depuis 15 ans !» Pour classer l?affaire et retrouver le véritable coupable, les enquêteurs devront compléter le dossier avant un éventuel renvoi en cour d?assises. Farid, le nouvel accusé, nie tout en bloc et clame son innocence. Mais n?a-t-il pas commis un crime abject en envoyant, pendant quinze ans, un autre en prison pour payer très lourdement à sa place ?