Visite n Si le pont romain joint depuis 19 siècles les deux parties de la ville d'El Kantara à Biskra, traversée par Oued El Hay, Dechra El Hamra (village rouge) constitue à sa manière un autre pont par lequel sont passées plusieurs vagues humaines et civilisations à travers les âges. De nombreux poètes et écrivains se sont laissé guider dans les méandres du village rouge, qui semble refuser de céder à la modernité envahissante afin de préserver son cachet d'antan, son originalité et son identité. Procurant un sentiment d'adoption à tout visiteur, le village rouge est un havre de paix qui a inspiré plus d'un poète. André Gide dit de ces lieux : «Je suis venu, le prin-temps a paru dans les branches, nous nous promenons et nous n'avons plus de pensée». Les venelles du village ressemblent étrangement à celle des villages kabyles, elles se séparent tantôt et se retrouvent dans la grande place, là où il fait bon discuter, partager des moments de détente, prendre un café ou un thé, en laissant plonger le regard vers cet horizon. Non loin de la place, une chambre est réservée pour garder jalousement des vestiges hérités de l'ancien musée lapidaire que Gaston de Vulpilliaire a fondé en 1934. L'essentiel de la collection de ce musée a été transféré à Timgad, mais il reste quand même sur ces lieux des pièces d'une rare beauté, qui continuent à résister au temps. Bustes, moulins à huile, restes de colonnes, statues… Tout est là pour témoigner de la richesse insoupçonnée de ce petit village. Les peintures rupestres découvertes sur les monts d'alentour témoignent du passé lointain de l'établissement humain à El Kantara, qui semble avoir toujours été un point de jonction entre le nord et le sud de l'Algérie, souligne le chercheur Omar Kebbour dans son étude sur «les sites historiques et archéologiques de la région d'El Kantara». L'armée romaine est passée par El Kantara, y a implanté une colonie et y a construit le célèbre pont de la cité classé depuis 1900 alors que les fameuses gorges du site sont classées depuis 1923, note le même chercheur. Anciennement appelée Dechra Dhahraouia, El Kantara, importante cité des Zibans, est désignée sous l'occupation française «village rouge», traduit par Dechra El Hamra, le rouge étant la couleur de sa terre et de ses maisons, relève Kebbour. Noyau originel de la ville d'El Kantara, Dechra El Hamra, encore habitée, constitue, par son architecture et son organisation urbanistique singulière, «un modèle culturel d'une grande valeur», estime le directeur de la culture, Hadj Meshoub. D'un point de vue touristique, le village rouge présente un intérêt spécial en tant que patrimoine matériel et immatériel d'autant plus intéressant qu'il s'insère dans les magnifiques paysages verdoyants des étendus vergers de dattiers prenant vie au pied de sa majestueuse falaise et ses gorges saisissantes, note, pour sa part, le président de l'Association de l'office local du tourisme, Noureddine Chelli. L. S. Tolga : berceau de la meilleure datte au monde l Nous quittons l'histoire pour replonger dans le quotidien, direction Tolga, berceau de la meilleure datte au monde «deglet nour». Si les Suisses sont fiers de leur chocolat et les Français de leurs fromages, l'Algérie hisse haut le fruit des palmiers que Biskra lui offre généreusement chaque année. Certains attribuent le nom de Biskra à Soukerra «la sucrée», en référence au goût suave et sucré de sa datte. Nous ne pouvons leur en vouloir cette petite déformation de l'histoire de Biskra, car elle mériterait bien d'être appelée la sucrée, eu égard à la densité et l'importance de son potentiel de production de dattes. Si Biskra est la reine des Zibans ou des oasis, elle mérite sa couronne grâce à Tolga. Le nombre de palmiers dattiers que recèle la wilaya est de 3 911 214, dont plus de 2 millions de «deglet nour».Tolga est la plus célèbre parmi les oasis de Biskra, il suffit de se placer sur la colline, à hauteur de la stèle des Zaâtcha, pour apercevoir l'immensité de la palmeraie, une véritable forteresse interminable de palmiers, que même la portée du regard ne peut contenir. Cette année, l'exportation de la datte a connu une certaine baisse avec seulement 3 200 tonnes exportées sur une production totale de 160 000 tonnes. Les raisons évoquées par les responsables locaux sont le manque d'organisation des producteurs, ils préfèrent exporter individuellement au lieu de faire une chaîne industrielle. L'emballage est l'autre entrave à une exportation de qualité. La vue des océans de palmiers nous réconforte toutefois sur l'avenir de la datte dans la région. L. S. L'artisanat, l'autre trésor des Zibans l Qui dit tourisme dit artisanat, un autre créneau d'activité auquel s'adonnent les gardiens, et surtout les gardiennes des traditions, dans cette région. Différentes spécialités artisanales existent : tissage, poterie, céramique et sculpture sur bois de palmier font partie du patrimoine local qu'hommes et femmes de la région ont su pérenniser. Il faut dire qu'en plus de la célèbre datte, le palmier fournit aux artisans feuilles, noyaux et bois nécessaires. On ne peut parler de l'artisanat à Biskra sans citer la poterie et la céramique à El Kantara. Une unité de production existe depuis des décennies et fabrique différentes pièces artisanales qu'elle écoule sur le marché. La région de Mchounèche, en plus de la beauté de sa nature et de ses gorges, est aussi connue pour sa belle poterie traditionnelle, préservée de la disparition grâce à des hommes et des femmes qui perpétuent cet artisanat. L.S. Le royaume des Zibans Imaginaire n «C'est une espèce de porte par où l'on sort de la réalité pour pénétrer dans une autre réalité inexplorée qui semble un rêve»… C'est ainsi que le célèbre écrivain français, Guy De Maupassant, décrivait son voyage à travers le royaume des Zibans. Cette porte n'est pourtant ni imaginaire ni fictive : c'est la porte du Sahara. Et nul besoin de la pousser, la nature s'en charge pour vous, ou bien Hercule, selon la légende romaine, qui, d'un coup de pied ferme, fit creuser un passage dans une roche. Si les légendes divergent, la porte, elle, existe, et elle a été baptisée El Kantara. En référence au pont romain érigé pour permettre aux légions et autres passants de faire le voyage du Tell vers le Sahara, des montagnes aux dunes, du froid à la chaleur. Ce bel «édifice» est toujours là pour témoigner de 19 siècles d'histoire. A mi-chemin entre la chaîne enneigée des Aurès et les oasis généreuses du royaume des Zibans, El Kantara constitue un lien inaliénable et indéfectible entre le Nord et le Sud. Ce lien est perceptible à vue d'œil à travers les gorges ciselées au milieu, constituant un passage entre deux montagnes, ouvrant la voie à l'échange, au brassage et à la différence. Entre deux paysages, deux formations géologiques que sont le Tell et le Sud se font face. Tel un arbitre dans un duel, les gorges d'El Kantara sont au milieu de deux climats. Tout dépend de la où vous vous mettez et de là où se dirige votre regard, tantôt vous avez le Sud qui vous lance des pics de chaleur venant d'un décor saharien aux couleurs ocre et orange, tantôt voilà que le mont des Aurès soufflant, tel Eole, des vents de fraîcheur et miroitant le tapis verdo-yant du printemps. C'est à travers ce passage que les colons français ont tracé une voie ferrée venant de Batna et atteignant les gorges d'El Kantara pour enfin accéder à la fastueuse reine des Zibans, Biskra. El Kantara était nommée par les romains «le Calceus Herculis» en référence au coup de pied d'Hercule, ils y installèrent un poste militaire et ce fut un des quatre ponts que Rome a construits au monde avec ceux d'Espagne, d'Italie et du Danube. «Biskra, reine du désert, ville, oasis, escale d'artistes». C'est l'intitulé d'une exposition qui se tiendra à l'Institut du Monde arabe (salle d'exposition temporaire, niveau 1) à Paris du 23 septembre courant au 22 janvier 2017. Des photographies et des cartes postales, notamment, rendront compte de la diversité humaine de Biskra, ville et oasis. Quant à la peinture, «elle se cantonne dans des sujets plus restreints et constants au fil des décennies : scènes de genre, paysages, portraits, souvent de femmes». L'exposition veut aussi «mettre en lumière la continuité d'une veine artistique en incluant des peintres et photographes algériens contemporains». Lyes Sadoun Sidi Khaled, le prophète méconnu l La wilaya de Biskra regorge de potentialités touristiques aussi variées que denses. L'héritage de lieux de culte représente un patrimoine on ne peut plus riche pour le tourisme cultuel. Nous abordons le côté sahraoui de la wilaya par une escale des plus surprenantes et étonnantes. Il s'agit du mausolée de Sidi Khaled ou le M'qam de Sidi Khaled Ben Sinan El Abssi, classé patrimoine national. A notre grand étonnement, on découvre que ce saint dont le M'qam est pareillement orné que ceux des saints de l'islam, a vécu avant l'ère musulmane. Sidi Khaled est en fait un émissaire des apôtres venu du Hidjaz pour prêcher la parole de Jésus. Selon certains historiens et autres hommes de culte, Sidi Khaled est un prophète dont le nom n'est pas cité dans les livres saints, notamment le Coran. Ibn ârabi, Eddousouki, Abi Mansour Ethaâlibi, Ezamakhchari, Errazi, ainsi que d'autres penseurs musulmans, ont confirmé sa prophétie dans leurs ouvrages. Il serait venu de la péninsule Arabique pour appeler à l'unicité de Dieu et il serait mort en l'an 435, et aurait vécu 230 années. Notre guide explique que dans le Coran il est cité que le monde a connu de nombreux prophètes et messagers, dont l'histoire n'a pas été contée, et Sidi Khaled en fait partie. A noter que le tombeau de Sidi Khaled est visité par des musulmans et des chrétiens, et les deux communautés se rapprochent de ce saint afin d'avoir bénédiction et baraka à la fois. L. S. Haïziya et Saïd, ou Roméo et Juliette du désert l Non loin de la Zaouia Sidi Khaled, il y a un petit cimetière familial où gît, depuis 1878, Haïziya Bent Ahmed Ben El Bey, décédée à l'âge de 23 ans de la maladie d'aimer. Telle une tragédie Shakespearienne, l'histoire de Haïziya est celle d'un amour impossible, interdit, qui finit par un drame. Le célèbre poète Benguitoune, qui est de la région de Sidi Khaled, a couché sur papier et poème cette histoire d'amour qui a été fatale à Haïziya. Elle était d'une grande beauté et tomba amoureuse de son cousin Saïd, mais sa famille s'est dressée contre son mariage avec son bien-aimé. Ce verdict lui fut fatal, elle refusa d'en épouser un autre et tomba malade, à tel point que même lorsque sa famille finit par céder à sa demande ce fut trop tard. Ses dernières paroles furent à son bien-aimé qui accourut pour la voir et la sauver, mais en vain, elle mourut dans ses bras. Le choc lui a été insurmontable, il erra depuis, loin de son village, et personne ne connut son sort. L'histoire de Haïziya et Saïd entra dans l'éternité à travers le poème de Ben Guitoune qui a été chanté par d'illustres artistes algériens, comme Khelifi Ahmed, Rabah Deriassa et Abdelhamid Ababssa.