L'Union nationale des commerçants et artisans algériens (Ugcaa) vient de publier les résultats d'une enquête sur le coût du gaspillage alimentaire prévu en Algérie durant le mois du Ramadhan de cette année 2017. L'Ugcaa estime qu'il dépassera les 500 milliards de centimes, soit 5 milliards de dinars, de quoi construire une grande et belle école. Comment en est-on arrivés là? La question mérite d'être posée, puisqu'elle nous concerne tous, car nous sommes tous, plus ou moins, des gaspilleurs potentiels durant le mois sacré. Sur le terrain, les Algériens interpellés font unanimement vœu de pénitence et assurent que, ce Ramadhan, ils vont faire plus attention. Vœu pieux ou volonté réelle de changement ? C'est à voir... Même les fruits et légumes Paradoxe - Durant le mois du jeûne, rien n'arrête la quête boulimique des Algériens, de tous les aliments, quitte à empiler des pyramides de fruits en une journée, pour en jeter deux jours après la moitié, car les fruits dépérissent vite et ne sont donc plus consommables. Dans son rapport, l'Ugcaa assure que le taux record de gaspillage escompté pour ce Ramadhan, s'explique surtout par la hausse du niveau de la consommation durant cette période, une hausse qui serait de 50% pour tous les produits alimentaires. En tête de ces aliments surconsommés, on retrouve évidemment le fameux pain, la denrée la plus consommée en Algérie tout le long de l'année d'ailleurs, mais avec un pic vertigineux durant le Ramadhan : 4,1 milliards de baguettes de pain seront ainsi achetées dont une bonne partie finira près des poubelles (car chez nous, cet aliment est quasi sacré et on ne le jette pas dans la poubelle, mais tout près, par pudeur ou...honte). Puis, ce sont les légumes, surtout, et les fruits dont 100 millions de quintaux seront consommés dont 10 millions finiront à la poubelle. Des chiffres édifiants qui montrent bien que les Algériens n'hésitent pas à gaspiller même les légumes et les fruits dont ils se plaignent pourtant du prix élevé. Mais durant le mois du jeûne, rien n'arrête leur quête boulimique de tous les aliments, quitte à empiler des pyramides de fruits en une journée, pour en jeter deux jours après la moitié, car les fruits dépérissent vite et ne sont donc plus consommables. Le lait, à son tour, n'échappe pas à cette pratique infernale, puisque nos compatriotes achètent plus de 150 millions de litres de lait durant le mois sacré et 12 millions de ce précieux aliment est jeté à la poubelle. Encore une énigme à l'algérienne, tant cette quantité astronomique de lait (subventionné) gaspillée a été souvent difficilement acquise après de longues heures d'attente devant l'épicier. Tout ce mal subi, en plein jeûne, pour à la fin en jeter autant à la décharge, cela est quand même un vrai comble dont on devrait se passer...Quant aux viandes, rouges et blanches, celles-ci vont évidemment connaître leur heure de gloire durant le Ramadhan, selon le président du directoire de la Société de gestion des participations de l'Etat productions animales (Proda), l'Etat va importer en appoint quelque 30 000 tonnes de viandes rouges congelées, d'Inde principalement, afin d'influer sur un marché où les viandes locales connaissent chroniquement une flambée des prix, avec l'explosion de la demande enregistrée. Là aussi, le gaspillage entre en jeu, car beaucoup de foyers utilisent de la viande dans certaines préparations, en sauce notamment, mais personne n'en mange durant le f'tour. Résultat, c'est quasiment toute la marmite qui finit à la poubelle. Une pratique qui était confinée aux seules classes aisées, mais qui s'est démocratisée ces dernières années, malheureusement... Hocine Hamid Des habitudes de consommation «disjonctées» Dérapages n Un tel comportement alimentaire durant le Ramadhan est fortement déconseillé à longueur d'émissions télé et radio, et de nombreux articles dans les journaux, par des médecins nutritionnistes et même par des hommes de religion. C'est sans doute la première énigme dont la solution pourrait aider à mieux cerner la problématique du gaspillage durant le Ramadhan : dans quel état d'esprit les Algériens accueillent-ils le mois du jeûne ? La question se pose lorsqu'on constate la frénésie consommatrice qui s'empare de nos compatriotes dès le premier jour de jeûne : «c'est vrai que le premier jour surtout, j'aime voir ma table bien garnie et très appétissante : je passe ce premier jour d'abstinence en état second, surtout quand il fait chaud et lorsque l'Adhan retentit, je dévore tout ce que je trouve et m'affale pour digérer... », raconte Toufik, un amateur déclaré des plaisirs de la copieuse meïda ramadanesque. Pourtant, un tel comportement alimentaire durant le Ramadhan est fortement déconseillé à longueur d'émissions télé et radio, et de nombreux articles dans les journaux, par des médecins nutritionnistes et même par des hommes de religion qui insistent souvent sur la nécessité d'adopter un mode alimentaire modéré et frugal. Mais rien n'y fait : la majorité de nos concitoyens continuent à s'empiffrer sans vergogne dès l'Adhan et ne s'arrêtent qu'à l'heure du s'hor, la bedaine dilatée par une foultitude d'aliments hétérogènes expédiées pêle-mêle et en grandes quantités. Ce comportement provoque également des dommages collatéraux, car tous ces aliments ne sont pas totalement consommés, car achetés en trop grandes quantités, il en subsiste donc ce qu'on appelle des «restes» qui ne tentent plus personne et qu'on commence par mettre au frigo ou de côté, puis qu'on oublie très vite. Après deux jours, on les ressort, mais ils ne trouvent pas preneur : ils sont alors jetés à la poubelle, alors qu'ils sont encore consommables. La boucle du gaspillage est bouclée, en toute logique. Les jeûneurs se retrouvent ainsi à «renouveler» quotidiennement leurs rations alimentaires, désirant, disent-ils, manger uniquement du frais, du produit du jour, mais sans toutefois prendre la précaution de n'acheter que ce qui sera effectivement consommé. L'envie, exacerbée par les effets du jeûne, d'acheter les produits les plus variés et les plus appétissants, n'est pas contrôlée et les quantités acquises sont exagérément excessives, ce qui est le premier pas sur la voie du gaspillage : un trop-plein qui finira à la poubelle, bien sûr. Les nombreux dommages collatéraux Retombées - Le gaspillage à grande échelle qui s'annonce sous nos cieux, n'a pas seulement des conséquences sur le portefeuille, avec les milliards de dinars en pertes sèches attendus. Un tel niveau de produits alimentaires gâchés signifie également que nous consommons plus que de raison et qu'une bonne partie de nos achats n'obéit à aucune logique. Ammi Djalal, 85 ans et toutes ses dents (un dentier de qualité !), dit ne rien comprendre à ce qui se passe aujourd'hui : «lorsque j'étais jeune, je me souviens que le mois sacré du Ramadhan était vraiment un mois de carême, un mois où mes parents dépensaient moins d'argent : il n'y a qu'un repas par jour et donc, on n'avait pas besoin d'acheter beaucoup d'aliments. On mangeait certes mieux que d'ordinaire, mais sans plus et il y avait de la qanaâ (patience) chez tous. Aujourd'hui, je regarde comment se comportent mes fils et leurs enfants durant le Ramadhan et je n'y comprends plus rien : ils rentrent une première fois à la maison les bras chargés, puis, après une sieste, ils ressortent pour revenir juste avant le f'tour, les bras toujours aussi chargés !... ». Une véritable hérésie pour notre vénérable témoin qui a vécu en des temps où les Algériens faisaient preuve de beaucoup plus de pondération dans leurs actes au quotidien, notamment durant le mois sacré où les jeûneurs appréciaient plutôt les plaisirs des rencontres entre amis dans les cafés bondés pour les hommes et les longues soiréesde chants, danses ou boqalate pour les femmes. Autres temps, autres mœurs et Ammi Djalil enfonce le clou : «moi, je trouve qu'il est bête de dépenser trop d'argent durant le Ramadhan, ça ne sert à rien : il faut oublier son ventre et les désirs fous du cerveau et se concentrer sur l'aspect spirituel, le recueillement, les louanges, les prières, la méditation et tout ce qui peut élever l'âme et l'éloigner des désirs d'ici-bas. C'est comme ça que le Ramadhan a un sens, sinon ce n'est que de la privation de nourriture, sans plus... ». C'est là où réside le problème, car il est évident que la manière dont on appréhende mentalement ce rendez-vous annuel qu'est le Ramadhan, pèsera de tout son poids sur le comment on va le passer : si on n'écoute que son ventre et son cerveau obnubilé par le manque de caféine et de nicotine (voire plus...), il est certain qu'on va succomber à tous les excès et donc multiplier le gaspillage. Si, au contraire, on se concentre sur l'aspect immatériel, le sens profond de ce mois sacré où l'abstinence a pour but d'éprouver la foi et de la rendre plus forte, alors il est certain que notre comportement alimentaire sera pondéré et les raisons de gaspiller quasi nulles. C'est là le grand défi qui nous est lancé à tous durant ce Ramadhan 2017, d'autant plus que les prix des denrées alimentaires semblent bien partis pour se stabiliser, voire devenir encore plus abordables durant le Ramadhan. En effet, avec un meilleur pouvoir d'achat escompté, l'Algérien risque de pousser le bouchon un peu plus loin et d'acheter plus de kilos qu'il n'en consommera. On le saura très bientôt et il en sera plus loisible d'en parler à la lumière de ce que nous réservera ce Ramadhan 2017 où nous avons toutes les raisons de faire des économies en réduisant le gaspillage alimentaire qui nous coûte vraiment trop... Netcom ou le blues des éboueurs d'Alger... Rôle - L'entreprise NETCOM sera, comme chaque année durant le Ramadhan, un acteur important sur la scène nationale et son intervention en force est plus que souhaitée par les citoyens et pour cause ! En effet, Netcom est l'organisme en charge de l'enlèvement et collecte des ordures ménagères et déchets assimilés. Il intervient dans les cités, les quartiers, les voies publiques et les marchés, mais s'occupe également du balayage des trottoirs, chaussées, caniveaux, places et lieux publics , de l'installation des équipements de pré collecte au niveau de la voie publique, des cités, quartiers et marchés , du lavage des rues et des places publiques et, enfin, de la gestion des centres d'enfouissement technique d'Ouled Fayet de Staoueli. C'est dire la tâche titanesque que s'est proposé de prendre en charge cet établissement public si précieux et si utile. Son champ d'intervention s'étend sur 28 communes. Netcom assure également des prestations conventionnées au profit des hôpitaux et cliniques, des centres universitaires, des ambassades et des entreprises publiques et privées. L'établissement se finance également avec ses infrastructures d'appoint, d'exploitation et de maintenance. Il possède ainsi un centre de maintenance et rénovation d'organes mécaniques sis à El Alia, 11 parcs d'exploitation du matériel de collecte des déchets ménagers, un magasin central de pièces détachées pour véhicules lourds et légers, et un investissement utile, une unité de production de sachets plastiques d'une capacité de 10 000 Sachets /Jour. Netcom possède également une cavalerie, constituée essentiellement d'ânes destinés à enlever les ordures ménagères des quartiers abrupts, la Casbah surtout. Il dispose aussi d'un atelier de fabrication artisanale de pelles et balais bruyères ainsi que d'un hangar à fourrage et matériel de pré collecte. Cet établissement exemplaire prend le pari de générer davantage de valeur ajoutée dans les opérations de salubrité publique dont il a la charge. C'est un pari d'avenir qui mériterait toutefois des moyens considérables que ne possède malheureusement pas Netcom aujourd'hui. En effet, avec un effectif de seulement 5875 agents d'hygiène sur le terrain et 363 véhicules de collecte, Netcom ne peut évidemment pas assurer une qualité de service optimum durant le Ramadhan où la quantité d'ordures ménagères atteint des sommets. Sur une année, nos braves éboueurs collectent une moyenne de 740 867 Tonnes de déchets, selon les chiffres de Netcom, avec un pic pendant le mois sacré qui constitue la période la plus harassante pour eux. C'est dire que Netcom, ce garant incontestable de la salubrité publique, mérite un bien meilleur sort que celui qui lui est fait à ce jour : à l'heure de l'explosion démographique sur Alger et ses banlieues, il est certain qu'avec ses modestes moyens humains et matériels, Netcom ne pourra pas faire face à l'augmentation exponentielle des quantités d'ordures à collecter et de tous les autres facteurs de pollution annexes et c'est l'ensemble de l'espace urbain et suburbain de la capitale qui risque d'en pâtir sérieusement dans un très proche avenir...