Nouvelle - Il le prend en aparté et lui explique qu'il a un cancer du poumon. Mohammed l'a déjà remarqué, en entrant à l'aéroport : c'est un petit vieux, recroquevillé sur lui-même, lové dans le fauteuil roulant comme une larve accrochée à son cocon. Le jeune homme qui le poussait l'a abandonné un moment pour aller enregistrer ses billets. Il s'est mis à gémir et Mohammed, apitoyé, s'est approché de lui. – Grand-père, voulez-vous quelque chose ? Il a répondu par un autre gémissement et le jeune homme est revenu. – Que se passe-t-il ? demande-t-il, inquiet, à Mohammed. – Je l'ai entendu gémir... – Il a dit quelque chose ? – Non, il a juste gémi. Il est malade ? Le jeune homme soupire. – Il est comme ça depuis deux jours... – Et vous allez rentrer avec lui au pays ? Il le prend en aparté et lui murmure. – Il est condamné... Un cancer au stade terminal ! – Je suis désolé ! – C'est lui qui a demandé à retourner au pays, pour mourir entouré des siens ! Après quarante ans d'absence ! – Quarante ans d'absence ! s'exclame Mohammed. – Oui, quarante ans d'absence... Quarante ans de misère et de galère pour finir comme une loque. Mohammed jette un coup d'œil sur le fauteuil roulant. Le terme loque n'est pas exagéré : l'homme ne doit pas peser plus de trente kilos, un vrai sac à d'os, déjà promis à la tombe. Le visage est si émacié qu'il laisse passer la lumière, le front très étroit est ridé comme une pomme, coupé au milieu par un nez qui semble démesurément long. Les mains posées sur les bras du fauteuil sont également longues et osseuses, avec des ongles crochus qui n'ont pas dû être coupés depuis longtemps. La poitrine, toute petite, comme réduite par la maladie, se soulève dans un halètement continu qui en dit long sur les souffrances endurées par le pauvre homme. – Vous êtes son parent ? demande Mohammed. – C'est mon oncle paternel. Je suis étudiant à Paris. Je lui ai rendu visite, il y a quelques jours et je l'ai trouvé en très mauvais état. J'ai appelé sa femme et ses enfants, mais personne ne s'est proposé de venir le chercher. En fait, personne ne s'intéresse à lui. Il m'a supplié de le ramener chez lui, alors, je l'ai fait ! Du moins je vais essayer de le faire. – Pourquoi essayer ? s'étonne Mohammed. – Parce qu'on peut m'arrêter à l'embarquement... Si on décrète que l'oncle n'est pas transportable, on ne le laissera pas partir ! A suivre