Portrait - Musique sobre réduite au rôle de support, le chanteur Lounis Aït Menguellet (17 janvier 1950) a toujours fait le choix de mettre en avant dans ses œuvres la profondeur du vers. Interprétés avec une voix d'or, les succès de l'aède, qui a vu sa carrière de chanteur d'expression kabyle couronnée mardi par un doctorat Honoris Causa décerné par l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, en présence du ministre de la Culture, Azzeddine Mihoubi, impressionnent par la beauté du verbe et l'insaisissable sens des poèmes interprétés. Le secret de sa réussite réside dans ce verbe qu'il choisit avec minutie pour composer des poèmes dans un langage où se mêlent tradition orale et sensibilité d'un ciseleur du verbe. Pas besoin de fioritures. Le vers se suffit à lui-même quand il est beau, quelques douces notes de sa guitare et la magie se crée pour séduire des milliers de fans. Un demi-siècle de carrière, 222 chansons et pas une ride, les tubes de Lounis sont toujours des succès. Pétri dans une culture où l'on parle au figuré et l'on use de détours, de dictons et de proverbes, où le sens est à chercher au second degré, Aït Menguellet, qui aime la compagnie des sages des villages de Kabylie, s'adresse, lui aussi, à son public dans un langage détourné. Ses chansons son toujours à réécouter pour saisir son message. D'ailleurs, ce choix ne lui a-t-il pas valu des colères, toutefois vite dissipées lorsque le sens est finalement compris, lorsque le jeune Aït Menguellet, qui voulait certainement bousculer sa société qui était fermée à tout ce qui est amour, a chanté Qimd G rebbiw (Guitare, reste sur mes genoux!). Dans ce poème, l'enfant d'Ighil Bouammas, un village montagneux de la commune d'Iboudrarene (Tizi Ouzou), s'est amusé à confondre, à s'y méprendre, l'image de la guitare avec celle d'une femme. Chanson que l'on penserait pourtant... osée. Lorsqu'elle est diffusée par la Radio (Chaîne II à l'époque), on s'empressait, tout gêné, d'éteindre l'appareil pour ne pas l'écouter. Entretenant la confusion jusqu'à la fin, ce n'est qu'au dernier couplet que le chanteur nomme sa bien-aimée qui n'est autre que sa guitare, compagne de ses moments de joie et de tristesse. Considéré comme l'un des pionniers de la chanson d'amour d'expression kabyle, Aït Menguellet, de son vrai nom Lounis Abdenebi, avait d'abord composé et interprété, au début de sa carrière en 1967, des chansons sentimentales, avant de passer aux chansons politiques dévoilant, à son corps défendant, un autre Lounis engagé dans toutes les causes qui touchent ses compatriotes, qu'elles soient identitaires, sociales ou sécuritaires. La patrie (A ken-yekhdaa Rebbi), (Tamurt idourar), le terrorisme ( Iminig N'yidh, Siwel-iyi-d Tamacahut), l'amour et la femme dans ( Ur yetsadja, tayri) sont parmi les principaux thèmes abordés dans ses poèmes, dans cette nouvelle et seconde étape de sa carrière car, pour lui, le rôle de l'artiste est d'attirer l'attention des gens sur leur vécu et d'interpeller leur conscience .Souvent adulé, son public reste pourtant intransigeant avec lui. L'homme «ordinaire, plus ordinaire que les ordinaires», comme il se présente lui-même, devient une idole, qui doit être infaillible. Or, lorsqu'on est un grand artiste, on subit parfois les revers de ce statut et c'est ainsi qu'il a du affronter les critiques de nombre de ses fans en 2001. Blessé, il leur répond deux ans plus tard, avec la chanson Nedjayawen amkan (Nous vous cédons la place). - Loin de se laisser prendre dans le piège de la monotonie, la carrière de Lounis Aït Menuguellet a connu une nouvelle étape, la troisième de sa carrière avec l'arrivée dans le monde de la chanson de son fils, Djaffar Premier fan de l'artiste, Djaffar a sur apporter un nouveau souffle à la chanson de son père par l'introduction de sonorités musicales autres que celles du mandole par l'introduction justement dosée de quelques instruments tout en respectant le style musical sobre de Lounis. Une joyeuse association père-fils que les fans ont vite adoptée, au grand bonheur de Lounis qui, loin de penser à annoncer son retrait de la chanson, se voit offrir une nouvelle jeunesse par les encouragements de ses fans avides de sa poésie et qui lui réclament toujours du nouveau.En recevant le titre honorifique d'Honoris Causa, Lounis, toujours humble, s'est dit fier de voir son nom associé à celui d'un autre chantre de la culture amazighe, Mouloud Mammeri dont l'université éponyme qui l'a honoré est, pour l'auteur d'Asfru, un bastion des luttes pour la démocratie, l'identité amazighe et les droits de l'Homme.