Le monde musulman du VIIIe au XIe siècles n'est pas seulement le point de départ d'une longue histoire : celle des civilisations musulmanes. Il est aussi le point d'arrivée ? et jusqu'à présent ?d'apogée d'une histoire encore plus longue : celle des civilisations urbaines de l'Orient antique, les plus vieilles civilisations connues de l'humanité déjà un moment regroupées dans l'empire d'Alexandre... Jetons d'abord un regard vers l'époque des conquêtes arabes (milieu du VIIe-milieu du VIIIe siècle). C'est alors que le monde musulman prend ses visages essentiels. Ces conquêtes sont, d'abord, le fait des Arabes d'Arabie, chameliers bédouins qui constitueront la première force militaire de l'islam, sous la direction des chefs de La Mecque, eux-mêmes citadins commerçants et armateurs des grandes caravanes. Hors du désert et des zones de pâturage de la Péninsule arabique, les Arabes viseront les pays du «croissant fertile» : Mésopotamie, Syrie, Égypte. Mais, à côté de cet élément arabe, les armées de l'islam s'ouvriront aux contingents levés parmi les populations subjuguées, contingents qui prolongeront le mouvement initial : c'est ainsi que les Iraniens pousseront vers l'Asie centrale, les Syro-Égyptiens vers l'Afrique du Nord, les Berbères d'Afrique du Nord, à leur tour, vers l'Espagne et la Sicile. L'élément arabe s'est donc limité à une seule vague d'envahisseurs, partis d'un désert et non d'un de ces hinterlands de forêts aux clairières cultivées (Europe centrale) ou de steppes à pâturages (Asie) qui ont toujours constitué le réservoir des envahisseurs barbares dont les vagues successives sont venues s'installer dans un Occident rural, forestier et peu peuplé. Ici, une poignée de conquérants s'absorbe rapidement, se fond dans des foules urbaines de civilisation supérieure. Comment expliquer la facilité et la rapidité de cette conquête ? Les Arabes avaient, en fait, toutes chances d'être accueillis comme des libérateurs par les vieilles populations du monde sémitique de Syrie et de Mésopotamie et par les Egyptiens. Ces peuples, outre la parenté ethnique et linguistique qui liait certains d'entre eux aux Arabes, étaient soumis depuis longtemps à Rome puis à Byzance à l'ouest, à l'Empire perse sassanide à l'est. Ils étaient en état de révolte permanente contre les administrations de Constantinople et de Ctésiphon ; révolte, comme toujours en Orient, à coloration religieuse et à fond social. Le domaine byzantin est secoué par des hérésies ; le nestorianisme et le monophysisme surtout s'opposent à l'orthodoxie dirigeante. Dans le domaine sassanide se développent le manichéisme, le judaïsme et le christianisme, toutes confessions dirigées contre la religion officielle, le mazdéisme. Or, les tendances démocratiques, égalitaires et cosmopolites du message islamique répondaient à ces mouvements de révolte sociale et religieuse. D'où, partiellement du moins, la facilité de la conquête. (à suivre...)