Image La vieille femme, enveloppée dans sa «melaya» est assise à fleur de rocher, les pieds dans l?eau que le ressac agite. La posture est instable et on aurait cru qu?à chaque instant, elle pourrait glisser et tomber sur le récif. A la main qu?on devine malgré tout assurée, un récipient en métal blanc est tendu vers l?écume de la mer qu?elle recueille avec soin pour la déverser dans un petit bidon en plastique. L?opération est renouvelée sept fois, ensuite la vieille femme referme soigneusement son petit bidon et s?affaire à retirer d?un couffin des sachets en tissu aux couleurs vives qu?elle entreprend de disposer sur la masse de pierre escarpée. Ce sont des bougies, du henné et de l?encens offerts, selon la tradition annabie, à El-Qatara, la dame des lieux que tout le monde dans cette ville vénère. Une tradition locale solidement ancrée chez la gent féminine en particulier, mais aussi chez les hommes d?un certain âge, surtout. L?endroit est régulièrement visité par des dizaines de fidèles qui viennent parfois des villes voisines de Guelma, de Souk-Ahras pour y communier avec les inconditionnels de Annaba sur le rocher du front de mer. L?assistance de la dame des lieux est requise pour différentes choses. Un mauvais sort à exorciser, la malchance dans le commerce ou les affaires, un mari volage qu?on souhaite ramener au foyer ou une fille qui tarde à trouver l?âme s?ur. La dame d?El-Qatara, qui règne sur les flots, à cet endroit précis, offre, semble-t-il, la possibilité à qui la sollicite «en toute abnégation et sans malice», de faire face à tous les sortilèges et à tous les aléas de la vie. Ecoper l?écume de sept vagues successives comme l?a fait la vieille femme à la melaya aiderait, selon la tradition, à laver une maison hantée par les djins malfaisants pour peu qu'on en asperge les moindres recoins de l?eau d?El-Qatara. Ceux qui, pour une raison ou une autre, ont ingurgité, à leur insu, une potion maléfique trouveraient également remède à leur état maladif ou dépressif en buvant de son eau. Il suffit d?y croire, est-il recommandé, le reste Dieu Le Tout-Puissant s?en charge. Contrairement à tous les autres endroits que la croyance populaire a sacralisés, la plage d?El-Qatara, une crique en fait, est située presque au centre ville d?Annaba, sur la Corniche. Nichée entre l?Amirauté et la petite plage des Juifs, en contrebas de la résidence universitaire Alzon, El-Qatara est, de tout temps, soumise à une turbulence des eaux marines. Le relief accidenté de cette partie du littoral est resté tel quel aussi loin que les anciens de la ville s?en souviennent. Cette configuration escarpée serait à l?origine de plusieurs naufrages de petites et grandes embarcations et c?est la raison pour laquelle très peu de pêcheurs s?y hasardent. La légende dit que la Dame d?El-Qatara aurait trouvé la mort justement à cet endroit, alors que son navire, qui l?amenait on ne sait de quel lointain pays d?Orient, s?y était écrasé.