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Histoires vraies
Au bout, la liberté (6e partie)
Publié dans Info Soir le 28 - 07 - 2003

Résumé de la 6e partie Après une nuit de marche à travers champs, Saoudi, Sadek et Omar, les trois évadés, s?endorment au petit matin dans une forêt.
De longues heures plus tard, Saoudi se lève le premier, le corps gelé, malgré son manteau, les membres engourdis. Il regarde ses compagnons endormis, leurs lèvres soufflant un filet de vapeur dans l?air froid. Avec d?infinies précautions, il se glisse hors du buisson et observe les alentours. Une brume épaisse semble se lever de la terre et, dans ce paysage cotonneux, il lui est impossible de deviner l?heure qu?il est. Puis, il se rappelle qu?au moment de sortir du dortoir, il avait glissé sa vieille montre Ingersoll au bracelet cassé dans une des poches de son pantalon. Il la recherche avec ferveur et la retrouve avec son petit canif et son briquet qu?il avait pu soustraire à la fouille des gardiens. A la vue de ces objets personnels, seul témoin de son passé, il a un moment d?émotion, et il les serre dans sa paume, avant de pousser un petit cri de douleur : les pointes des barbelés ont laissé des blessures vives sur ses mains. Il est midi passé et il s?allonge à nouveau près de ses amis endormis, légèrement amusé par leur insouciance. Il essaie de se rendormir, mais ses pensées le ramènent vers le camp. «Que doivent faire les Allemands maintenant ?», se demande-t-il. «Vont-ils deviner notre direction et nous intercepter ? Sont-ils déjà à nos trousses ? Et nos amis là-bas, que leur ont-ils fait ?? Toute cette misère est insupportable? Sommes-nous donc condamnés à la subir toute notre vie, au village, les riches colons sur nos terres? Beaucoup comme le vieux sont morts de faim, d?autres se nourrissent de racines pour survivre avec leurs enfants». Déguenillés, les pieds nus, il les revoit assis sous les arbres du chemin qui mène au centre du village, épuisés par la faim, implorant parfois la mort de les délivrer de leurs souffrances. Même en ville, la pauvreté écrase les murs des quartiers maures et traque les gens jusqu?aux recoins les plus sombres des ruelles? «Quand la guerre finira, la France partira du pays, et nous pourrons vivre à nouveau?». Il se relève, trop agité pour se reposer, et sort de sa cachette prudemment. La brume s?est dissipée. Il fait à peine quelques pas et s?immobilise, quand il entend très distinctement un bruit sourd sur sa gauche. Il revient près de ses amis et, écartant doucement les buissons, il aperçoit, à moins d?une vingtaine de mètres, les sombres silhouettes de toute une famille de sangliers qui passent à la queue-leu-leu dans un craquement de branchages.
? Maintenant, il faudra dormir à tour de rôle, songe-t-il, sinon, on risque de se faire attaquer dans notre sommeil par ces animaux sauvages. Quand les autres se réveillent un peu plus tard, Sadek, qui était allé à la recherche de quelque ruisseau pour étancher sa soif, revient la calebasse de fer-blanc pleine d?eau glacée.
? Ce n?est pas l?eau qui manque dans ce pays, dit-il?
? Pour la nourriture, nous allons nous rationner et faire durer le plus longtemps possible nos biscuits et puis après on verra, déclare Saoudi. Ils devisent doucement dans leur fourré en riant de bon c?ur pour une fois depuis très longtemps, conscients de leur liberté provisoire, comme des gamins ayant fait l?école buissonnière.
Ils restent terrés dans leur buisson jusqu?au soir et, la nuit tombée, reprennent leur marche. Une pluie fine et drue se met à tomber, et au bout d?un moment, les trois hommes se sentent glacés jusqu?aux os. Comme des somnambules, ils avancent les bras tendus devant eux, pour éviter les troncs d?arbre et les buissons. Leur avancée est pénible. Quand, au bout d?une bonne heure, ils arrivent à la lisière des bois, Saoudi lève la tête pour repérer leur position. La pluie cesse, mais le ciel est trop couvert pour distinguer les étoiles. Ils décident alors de continuer dans la même direction.
? Prends le sac, dit Sadek à Omar, mon bras me fait mal. Omar sourit dans l?obscurité.
? ça va, mon frère, donne ce sac, je pourrais le porter toute ma vie, pourvu que nous ne retournions pas là où nous étions ! et plus la distance entre nous et eux sera importante, mieux cela vaudra ! Que Dieu nous vienne en aide ! (à suivre...)


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