Epreuve Le père de famille, Slimane, était économe jusqu?à l?avarice. ll soumettait sa famille à des privations à la limite du supportable. Dans ce village de l'est algérien que nous nommerons S. pour en garder l'anonymat, tout le monde se connaît. ll faut dire que les maisons se serrent les unes contre les autres et que les rues, étroites ne peuvent être parcourues qu'à pied. Parmi les familles qui vivent au village, il y a celle de Slimane S. appelée ainsi du nom du patriarche qui la commandait à cette époque. ll faut dire qu'ici, les gens tiennent aux traditions et qu?ils vivent dans l'indivision : c?est seulement à la mort du père, quand l'héritage est partagé entre ses différents fils que les aînés peuvent prétendre à s?émanciper et à fonder des familles. Dans le cas qui nous préoccupe, le patriarche est toujours vivant, c?est donc lui qui préside aux destinées de la famille, une famille de près d'une vingtaine de membres : Slimane, sa mère et sa femme, ses fils mariés, leurs épouses et leurs enfants, leurs fils et leurs filles célibataires. Les garçons travaillent ; le père, Slimane, ancien émigré, a une coquette pension, mais comme la plupart des vieux, il fait des économies sur tout, sortant l'argent au compte-goutte, rationnant même la nourriture. Son objectif est de construire une nouvelle maison, de marier ses deux plus jeunes fils. Certes, la famille approuve ses projets mais elle trouve qu?il exagère, que sa parcimonie est de l'avarice. Sa femme, Fatima, n?arrête pas de lui faire des reproches «Tu veux nous tuer ? Les enfants crient famine, les adultes non plus ne peuvent tenir le coup à force de privations ! ? Tu veux qu'on aie une nouvelle maison, oui ou non ? Tu veux marier tes fils, oui ou non ? ? Oui, bien sûr ! ? Alors, il faut se serrer la ceinture !» La mère de Slimane, une vieille femme presque impotente, lui fait elle aussi des reproches. «Lâche donc les cordons de ta bourse, réjouis un peu ta famille !» Elle rêve de douceurs, de viande, de fruits et elle ne cesse de les réclamer, mais Slimane ne veut rien entendre. Ce qu?il refuse à sa femme, à ses enfants, à ses belles-filles et à ses petits-enfants, il ne peut l'accorder à sa mère. Pas question de dépenser plus d?argent : le budget de fonctionnement de la famille est fixé une fois pour toutes, il n'y ajoutera pas un sou... «Moi, aime-t-il répéter, j'ai été élevé dans la privation, c'est pourquoi je ne me plains jamais, vous aussi, vous devez faire l'expérience de la privation vous n'apprécierez que mieux les richesses de ce monde !» La famille vit donc dans la privation et surtout la frustration d?avoir de l?argent mais de ne pouvoir en profiter. On en vient même à souhaiter la mort de Slimane. «Patientez, disent les femmes aux enfants, quand le vieux ne sera plus de ce monde, nous ferons tout ce que nous voudrons ! Nous mangerons, nous danserons, nous nous réjouirons !» Mais lui respire la santé ; il n?est pas du tout prêt à quitter ce monde. ll sait qu'on ne l'aime pas, mais lui pense agir comme il doit agir. Plus tard, sa famille le remerciera de lui laisser un important patrimoine. (à suivre...)