Itinéraire Mohamed habitait Tipasa. En 1976, il décroche son bac, filière lettres et s?inscrit à la Faculté centrale d?Alger en sociologie. L?administration refuse cependant de lui octroyer une chambre dans une cité universitaire. «A l?époque, Tipasa dépendait de Blida, ils m?ont dit que la région était près de l?université. Pourtant, elle était dépourvue de moyens de transport, c?était une commune perdue et isolée. Imaginez qu?en sixième année, je faisais matin et soir dix kilomètres pour aller à l?école, parfois je partais dans une camionnette avec un voisin, c?était son chemin. J?ai parcouru ce chemin avec mon vélo.» Mohamed tente tout, en vain. Impossible d?avoir une chambre ! «C?était la politique du prestige. On m?a refusé la chambre parce que j?étais tout près. Mais c?était un enfer! J?ai étudié quand même trois semestres. J?ai dormi dans les escaliers, les rues, à Alger, le matin, j?allais à la fac. J?ai passé même des nuits à Ouled Fayet, au chantier de la cité Cnep. Je me rappelle que je n?ai jamais eu autant froid que là-bas. J?ai essayé de tenir le coup, mais c?était impossible vu les conditions précaires. J?ai alors décidé de rentrer à la maison.» Mohamed abandonne, la mort dans l?âme, ses études et quitte, en 1978, définitivement l?université pour rejoindre «l?école de la vie». Il passe son service national et erre longtemps avec des touristes français qui habitaient encore dans son village. En 1981, Mohamed exerce, sans passer de stage, comme enseignant suppléant au collège. L?année qui suit, il suivra une formation d?enseignant du fondamental à l?Institut Takbou de Médéa. «C?était peu, par rapport à mes capacités. Je l?avoue, on m?a interdit d?étudier.» Alors que ses amis se sont mariés tôt, comme l?exigent les traditions de l?époque ; Mohamed ne s?est marié qu?à l?âge de 31 ans (1987). De cette union naissent trois enfants. Pourtant, quelques années plus tard, rien ne va plus avec sa femme. «J?aurais dû divorcer en 1990, mais pour mes enfants, je n?ai pas osé le faire, je les aime beaucoup. Ma femme me considérait comme un malade, un fou. Je me levais le matin, j?écrivais des poèmes, des dissertations. Elle ne comprenait pas. Et puis, j?avais découvert qu?elle était frigide. Je n?avais plus de vie conjugale.» «Les rebelles ne doivent jamais se marier, il avait raison Che Guevara quand il l?avait dit.» En 1998, les disputes éclatent de plus en plus dans le couple. La belle-famille de Mohamed intervient, il est alors frappé et insulté. Une année plus tard, il réintègre le toit familial. Mais en 2000, il est une autrefois battu par sa belle-famille, il est même blessé aux mains, il a eu trois points de suture. N?ayant plus le choix, il abandonne son appartement et va chez sa famille, mais Mohamed n?est pas le bienvenu chez lui. «On me cherche des noises, mon frère, mon cadet de sept ans, m?a alors battu.» Cinq jours plus tard, il plie bagage et part. «J?ai eu recours à la justice et je n?ai pas eu gain de cause. J?ai dû abandonner ma maison et partir, ces gens-là sont capables du pire et j?avais peur pour ma vie. Mes enfants étaient aussi en jeu. Je n?ai pas eu de chance, je suis né sous un mauvais astre. Je n?étais qu?un projet pour ma femme», confie-t-il. Il insiste pour préciser qu?il n?a pas abandonné ses enfants, mais qu?il a dû partir pour éviter le pire. «Tous les 15 jours, je monte au village pour les voir. Je leur donne même de l?argent, d?ailleurs c?est moi même qui subviens aux besoins de leur mère. C?est une couturière qui ne joint pas les deux bouts. Je leur ai expliqué la situation. Ils savent que je suis un mendiant.»