Une tournée dans les campus de l'université d'Alger, l'une des plus importantes universités en Algérie qui compte plus de 20 000 étudiants, renseigne sur l'incohérence et l'inconséquence de la politique engagée par le ministère de tutelle, du moins pour l'heure actuelle. A la faculté des sciences humaines et sociales de Bouzaréah, les étudiants sont nombreux à être confrontés à des problèmes divers. Assis sur un banc devant le département des langues étrangères, Mourad D. ne se fait pas d'illusions. « Lorsque je préparais mon bac, j'avais une idée claire sur l'université. Après l'avoir décroché, j'ai fait des mains et des pieds pour m'inscrire en littérature anglaise. Aujourd'hui, je commence à être gagné par le regret, car je me retrouve dans une classe de plus de 60 étudiants. C'est énorme, surtout que la liste n'est pas encore définitive, car il y a beaucoup de nouveaux bacheliers, désorientés, qui sont toujours en quête d'une place », regrette-t-il. Lamia B. risque d'abandonner ses études, car la filière qu'on lui a accordée ne convient pas avec l'un des vœux qu'elle a émis. « J'ai eu un bac série sciences naturelles et voilà que je me retrouve en psychologie. Je ne suis pas prédisposée à de telles études. j'ai introduit un recours et je n'ai eu aucune réponse jusqu'à maintenant. Je commence à perdre espoir. D'ailleurs, je pense à l'abandon de cette filière pour refaire le bac. En tout cas, je ne vais pas faire cette licence », atteste-t-elle, l'air déçu. La faculté était désertée hier. Peu d'étudiants sont venus, et la plupart d'entre eux était là pour faire part de ses doléances au doyen, Boussena Mahmoud. Pourtant, M. Boussena s'est montré serein et rassurant quant au déroulement de la rentrée au sein de son campus : « Nous sommes au rendez-vous. Tout est prêt pour accueillir nos étudiants. Les places pédagogiques sont disponibles. » Pour étayer ses propos, le doyen cite quelques chiffres : « Notre faculté a été renforcée en matière d'infrastructures pédagogiques par un auditorium d'une capacité de 600 places ainsi que de 10 salles de 60 places. » Mais, en sus de cela, il y a quelque 5900 nouveaux inscrits dans les différentes filières dispensées par cette faculté, contrairement à l'année précédente où il n'y avait que 3100 nouveaux inscrits. Au moment où nous mettons sous presse, une foule compacte se trouvait devant la direction de la faculté. Tout le monde demandait à voir le doyen pour un problème le concernant. Peu d'entre eux réussissent à gagner la sympathie de l'agent de sécurité qui n'hésite pas à refouler les plaignants. « Je suis là depuis trois heures. Je me suis inscrit en sociologie. Mais mon nom ne figure pas sur la liste. Je n'existe pas, c'est comme si je n'ai pas eu mon bac. C'est absurde », tempête une fille, gagnée par le désarroi suite à une longue attente. A la faculté centrale (Alger-Centre), c'est la débandade. Le bureau du vice-recteur a été pris d'assaut dès la première heure par les étudiants, voire, pour certains, leurs parents. « Le recteur est là ? », demandons-nous au bureau d'accueil, débordé... Un agent nous rétorqua : « Il n'est pas là, revenez demain. » Renouvelant notre demande, mais cette fois-ci pour le vice-recteur. « Il vient de sortir », répond-il. « Reviendra-t-il ? », insistons-nous. « Je ne sais pas », ajoutera-t-il, avant de nous inviter à prendre une place dans l'exigu couloir déjà plein à craquer d'étudiants venus se plaindre de partout. « Pourquoi vous êtes-là ? », interrogeons-nous une étudiante. « Vous croyez aux déclarations des responsables et du ministre ? Vous croyez que tout va bien ? C'est faux, c'est l'anarchie totale », a-t-elle répliqué. Il s'agit d'une étudiante qui a décroché son bac à Béjaïa, mais sa famille s'est installée dernièrement à Alger. « On m'a accordé la littérature arabe à l'université de Béjaïa. J'ai ainsi fait ma demande de transfert vers Alger. Mais on me l'a refusée arguant le fait que la date limite de dépôt des recours a expiré le 28 septembre. Pourtant je suis déjà venue déposer mon dossier et on m'a renvoyée à un autre jour. Cela fait des jours qu'on me renvoie d'un bureau à l'autre, sans aucune explication, alors que d'autres, bénéficiant de passe-droit, viennent à la dernière minute et on leur règle leur situation. Je suis loin d'être seule dans ce cas. Vous n'avez qu'à demander à tout ce beau monde pourquoi il est là et vous le saurez. Non seulement il y a manque d'organisation, mais il y a aussi trop de bureaucratie ! », clame-t-elle, l'air en colère. Un autre étudiant nous brusque : « Cela fait un mois qu'on me traîne pour une question de transfert. Pourtant, mon dossier est complet. » « Je suis venu de Ouargla pour la dixième fois, en vain. A chaque fois, on me trouve une excuse. J'en ai marre », fulmine M. Badri. Mme Beneni a, elle aussi, une fille confrontée au même problème. « J'habitais à Boumerdès lorsque ma fille a eu son bac. Dernièrement, j'ai déménagé à Alger. Ainsi, ma fille orientée vers l'université de Boumerdès a fait une demande de transfert vers Alger. En dépit d'un dossier complet et bien ficelé, on lui a refusé sa demande. On a introduit plusieurs recours, sans résultat. Dites-moi comment elle va faire. Abandonner ses études ? », s'insurge-t-elle, les yeux larmoyants. La question du transfert n'est en réalité qu'une partie des problèmes auxquels sont confrontés les étudiants et souvent leurs parents aussi. De l'insuffisance des moyens pédagogiques au problème de l'hébergement, passant par la restauration catastrophique et le manque de transport, l'université algérienne est loin de constituer la fierté des hauts responsables de ce pays. Et ce n'est qu'un début.