Déperdition La campagne labours-semailles a quasiment disparu en Kabylie. Autrefois, elle était un événement de l?année, en débutant à la fin octobre, avec ses rituels et son attrait. Avec la disparition presque totale du labourage de la terre qui faisait appel nécessairement aux moyens traditionnels (b?ufs et charrue), un savoir-faire inestimable a été également perdu, entraînant dans son sillage tout un jargon originel lié à ce savoir-faire. Il s?agit de la fabrication artisanale de la charrue et de l?ensemble de son système d?attelage qui était, jadis, très répandu dans tout le pays. Fabriquée totalement à partir de bois de chêne vert ou de frêne, en utilisant des outils simples, cette activité, pratiquée par la majorité des fellahs kabyles sous le contrôle de certains initiés, occupait une grande partie de leur temps mort (les grandes chaleurs de l?été et les grands froids des hivers neigeux). Ainsi, dès la fin de la campagne moissons-battages, vers la mi-août, les fellahs s?affairaient à l?entretien de leurs charrues en changeant les accessoires endommagés, affûtant certaines parties qui présentaient des défauts, concevant des pièces de rechange en prévision des dégâts qui pourraient survenir au cours des labours, ou carrément en fabriquant de nouvelles charrues dans la perspective de faire face à tout imprévu, y compris celui de venir en aide à autrui dans l?urgence. Cette activité, qui occupait les fellahs durant de longues heures, exigeait d?eux patience, minutie, précision et également une entraide spontanée et permanente. Parfois des fellahs se spécialisaient dans la fabrication de certaines parties de la charrue, tel le soc qui exige, vu sa forme et sa ligne, beaucoup d?habilité. D?autres en revanche, étaient consultés pour le choix des matériaux ou les mensurations qui se faisaient à la main car l?unité de mesure était l?empan (longueur qui représente l?écart entre le bout de l?auriculaire et celui du pouce de la main). En somme, toute une technique, une méthode, une répartition des tâches, un savoir-faire qui se léguait de génération en génération afin d?arriver à la fabrication de charrues adaptées au labour de terrains difficiles, escarpés et jonchés de divers obstacles (arbres, rochers, ravins, talus?) Aujourd?hui encore, il reste quelques vestiges de cette industrie artisanale chez quelques fellahs irréductibles dans certains villages où l?on continue à labourer la terre avec la charrue et les b?ufs. Ce sont sans doute les dernières charrues qui témoignent d?un passé à la fois récent et lointain, un passé prestigieux quoique durement vécu parce qu?il possédait un sens et une âme.