Premier juillet 1992, coup de théâtre au palais de justice. Alors que des jurés, des magistrats, des avocats, des témoins, des gendarmes, sont venus dans la louable intention de rendre justice, on ne joue plus ! La cour renvoie l'affaire à la prochaine session des assises, en invoquant comme motif : «La sérénité des débats n'est plus assurée, dans la mesure où l'impartialité du président de la cour d'assises est mise en cause.» «Monsieur le président, vous avez donné, en effet, à certains journalistes qui vous assaillaient de questions, presse écrite et radio confondues, votre avis sur l'affaire. Or, monsieur le président, il n'est pas permis à l'homme que vous êtes de donner son avis avant jugement, même si cet avis est frappé au coin du bon sens. Cela vous renvoie immédiatement à la lecture du Code de procédure pénale, article 311, qui limite aux seuls débats à l'intérieur du prétoire l'autorisation de manifester une opinion.» Or donc, quelle était cette opinion ? «Monsieur E. avait d'immenses atouts, il aurait pu faire de très belles choses. Il avait une bonne situation et gagnait très bien sa vie. Il était consultant dans une compagnie d'assurances, percevait un salaire de 20 000 à 70 000 francs par mois. Il a choisi le pire dans une machination diabolique. La justice humaine va passer par là.» Dire cela publiquement autorise un pourvoi en cassation, ce que font immédiatement, et c'est normal, les avocats de la défense. Deux solutions s'offrent alors à la cour : continuer les débats ouverts le 1er juillet sous votre présidence, et risquer que le jugement soit ensuite cassé pour faute de procédure, ou renvoyer l'affaire, et changer de président d'assises. Dans l'un et l'autre cas, cela coûte cher au contribuable. Il s'agit de renvoyer quinze experts et trente-deux témoins venus souvent de loin, de bloquer la machine judiciaire d'un coup de frein brutal et de compter les frais. Avant de recommencer. «On gagne toujours à taire ce que l'on n'est pas obligé de dire», a lui-même dit Confucius. Monsieur le président a perdu. Le 14 octobre 1992, donc, après trois mois supplémentaires de prison pour les trois principaux inculpés de cette affaire, la justice se charge enfin de Eric E., l'initiateur, ainsi que de Marc C. et de Jean-Pierre N., complices. Et, accessoirement, de deux femmes, Anne-Lise I. et Michèle T., dans des rôles dits «secondaires», pour une complicité également secondaire, mais efficace. L'escroquerie à l'assurance-vie est une vieille histoire, aussi vieille que les assurances-vie. Il se trouve toujours un petit malin, ou une petite maligne, pour se dire : «Tiens, tiens... si mon mari, son père, ma maîtresse ou mon grand-père disparaissait, le montant de son assurance-vie ferait une jolie rente.» L'idée la plus courante, dans l?élaboration de cette escroquerie, consiste à faire monter la victime dans une voiture et à provoquer un accident mortel. L'inculpé de ce procès, Eric E., dont le président précédent avait estimé qu'il «aurait pu faire de très belles choses», est un homme de quarante-six ans, brun, aux cheveux lissés sur un côté, au regard souriant, au nez en trompette, portant le costume-cravate. Mais ce n'est pas ce visage qu'il présente à la cour, en octobre 1992. Eric s'est transformé en une sorte de clone de lui-même. Cheveux entièrement blancs coiffés en arrière, nuque nette, nez refait, pommettes et menton renforcés à la silicone, yeux étirés. La chirurgie est passée par là avant la justice, et seuls les cheveux blancs le sont devenus naturellement. Il est étrange ce visage d'extraterrestre, dépourvu de la capacité de sourire ? mais il n'y a plus de quoi ?, aux traits tirés par une manipulation chirurgicale. Et il n'est pas humain, le plan imaginé par cet homme en 1987 pour s'enrichir, non seulement aux dépens des compagnies d'assurances, mais de la vie d'un autre homme. (à suivre...)